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3 mai 2009
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Bataille rangée contre la contrefaçon

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3 mai 2009

Pieuvre, gangrène, peste des temps modernes, les appellations pleuvent sur la contrefaçon. Entre campagne de sensibilisation du consommateur sur les conséquences d'achats de produits contrefaits et saisies douanières renforcées, acteurs publics comme privés se mobilisent pour traquer le faux.


Campagne d'affichage contre la contrefaçon 2009

Le 30 avril dernier, Eric Woerth, ministre du Budget a officiellement lancé la campagne nationale 2009 contre les contrefaçons, en partenariat avec le Comité Colbert et avec le soutien des douanes.


Sensibiliser l'opinion

Plus de 10 000 affiches aux slogans évocateurs vont investir les aéroports de France. Parmi les accroches, on trouvera « Derrière ces lunettes vous serez vite démasqué » écrit au-dessus de fausses solaires Dior, « Prochain défilé... au palais de justice » pour un tee-shirt estampillé Chanele, « Avec elle, vous allez avoir un succès fou à la douane » pour une fausse montre Cartier, toutes indiquant qu'en France « la loi prévoit jusqu'à 300 000 euros d'amende et 3 ans d'emprisonnement ».

L'objectif ? « Accrocher le regard des voyageurs, qu'ils soient français ou étrangers, a déclaré le ministre. Notre but est en effet de lutter contre la banalisation du phénomène de la contrefaçon à l'échelle mondiale. » Et le Comité Colbert d'insister, « nous considérons de notre devoir – et de notre intérêt – de créer une réelle prise de conscience chez nos concitoyens, a précisé Françoise Montenay, présidente du Comité Colbert. Sans elle, l'action conjuguée des services douaniers et des marques ne permettrait pas, seule, d'endiguer le fléau de la contrefaçon. » Marc Frisanco, Deputy Intellectual Property Advisor chez Richemont soulignant pour sa part qu'« assez bizarrement, plus on parle de cette problématique, plus celle-ci est banalisée, voire tolérée. »

La Fédération de Haute Horlogerie (FHH) et la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FHS) ont également décidé d'intervenir. Car la contrefaçon n'est pas qu'une affaire de mode. L'horlogerie voit aussi d'un mauvais œil le spectre de la piraterie. Les deux institutions mènent une campagne internationale commune de prévention contre la contrefaçon des montres. Là encore, cela s’adresse non pas aux acteurs du commerce illicite mais aux acheteurs potentiels peu regardant avec comme leitmotiv : « Fake watches are for fake people ».


Campagne d'affichage contre la contrefaçon 2009

Hublot a d'ailleurs fait son entrée en début d'année dans la traque à la contrefaçon en s’associant à l'entreprise Wisekey pour offrir à tous ses clients un système d'identification de ses montres via Internet. Une sorte de « passeport » propre à chaque montre disponible dès septembre. Dans les faits, chaque montre Hublot sera munie de sa « Smart Card » fondée sur une technologie cryptographique développée par Wisekey et identifiable à partir d'un lecteur fourni lors de l'achat de sa montre chez le revendeur. Grâce au lecteur, le titulaire de la montre pourra se connecter au site d'Hublot dans une zone réservée à l'identification des montres et vérifier que les informations contenues sur la carte correspondent à celles du fabricant. A contrario, l'accès à cette zone est refusé, preuve que la montre est fausse.


Des saisies en nette augmentation

D'après la FHS, la production de fausses montres suisses est estimée à plus de 40 millions d’unités par an - à partir des saisies douanières, pour un bénéfice net estimé à 1 milliard de dollars. Par opposition, la Suisse aura exporté en 2007 26 millions de montres originales. Des chiffres alarmants qui trouvent écho en France.

Le 30 avril dernier, Eric Woerth a fait état des dernières données. Sur 2008, les articles contrefaits saisis ont vu leur nombre grimper de 41 % à 6,5 millions de pièces, hors cigarettes contrefaites, contre 4,6 millions en 2007. Pour l'essentiel, de la marchandise contrefaite de marque d'une valeur estimée à 467 millions d'euros, contre 401 millions en 2007. La première catégorie en nombre d'articles saisis est celle des produits textiles (18 % du total des saisies), avec près de 1,2 million d’articles. Fortement touchée également, la chaussure avec 710 000 paires saisies en 2008. Quant au luxe, il serait la première victime d'après le Comité Colbert. Il représenterait en valeur 50 % des produits saisis par la douane française.

Depuis maintenant quinze ans, les douanes et le Comité Colbert ont tissé un partenariat privilégié dans le but de former les équipes des douanes. Face aux moyens employés par les contrefacteurs qui recourent désormais à des matériaux innovants, voire nobles, y compris de l'or pour certains bijoux et montres, le faux présente un nouveau visage, parfois difficilement détachable du vrai. Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert, explique qu'il « est important de savoir déceler le vrai du faux pour organiser des saisies plus ciblées. Les douaniers, la gendarmerie sont ainsi sensibilisés aux produits de nos maisons (70 entreprises françaises du luxe sont aujourd'hui membres du Comité, ndlr).»



De son côté, la FHH a mis sur pied un « groupement anti-contrefaçons » composé d'une trentaine de personnes. L'objet est clair : sensibiliser et former les autorités douanières, avec leur accord. Mais pas seulement. Le groupement mène des actions graduées, des analyses techniques aux opérations « coup de poing », comme celles effectuées en Italie et en Turquie en 2007. Si l'expérience acquise au fil des ans fait preuve d'efficacité, le ministre du Budget nuance toutefois par le nombre croissant de produits contrefaits et les nouveaux réseaux de distribution très bien structurés.


Une lutte à l'échelle mondiale contre les réseaux réels comme virtuels

L'époque des petits ateliers clandestins menant leurs actions isolés, proposant des copies souvent grossières et artisanales est clairement révolue. De la « première génération », on est passé à une contrefaçon de « deuxième génération ». Organisée, structurée, disposant de chaînes de distribution bien rôdées, la contrefaçon est internationale, aux mains de réseaux de criminalité organisés. Et avec Internet, une nouvelle autoroute s'offre aux contrefacteurs.

Imparfaitement réglementé, le commerce électronique comporte de nombreuses brèches dans lesquelles ils se sont engouffrés. Le 10 février dernier, Eric Woerth inaugurait le service « Cyberdouane » au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Huit analystes et sept enquêteurs y opèrent au quotidien, assurant des missions de veille ou d'enquêtes. La cyberdouane mène également une « veille coordonnée » entre les différentes administrations liées à la cyberdélinquance Ce contrôle renforcé a conduit à la saisie de 623 000 articles contrefaits (hors cigarettes et tabac de contrebande), contre 244 000 en 2007, expédiés par voie postale ou fret express. Soit une augmentation de 155 %.


La nécessité d'actions concertées entre pays

La coopération entre les services douaniers des différents pays apparaît aujourd'hui comme un impératif pour battre le pavé aux réseaux organisés. Car si la contrefaçon présente aujourd'hui un passeport international, la répression, elle, reste locale. Pour la FHH, la réponse tarde à se faire, insistant sur le fait qu'il existe encore de grandes disparités entre les législations nationales.

D'autant que les pays impliqués, comme la Thaïlande, la Corée du Sud ou encore la Chine, n'apportent pas de réponses suffisamment fermes. Une nécessité pourtant quand on sait que 73 % des produits contrefaits proviennent d'Asie. Jean-Daniel Pasche, président de la FHS, explique d'ailleurs qu’« en Chine, il est très difficile de faire passer la vente de contrefaçons sous le droit pénal. Sur 350 cas répertoriés récemment, seule une quinzaine a été jugée, sans parler des peines encourues qui ne sont pas assez dissuasives.» Certains professionnels observent que la Chine pourrait toutefois être confrontée chez elle à ce type d'activités. Le spectre de la contrefaçon pourrait alors planer sur les marques chinoises et entraîner de fait une répression plus sévère de la part des autorités. A ce stade, seules les missions d'information et de sensibilisation auprès des clients chinois semblent donc combattre la piraterie.



Et l'Europe n'est pas en reste. Le Vieux Continent demeure un foyer actif où se développent des réseaux de fabrication au mode opérationnel aguerri, notamment en Allemagne, en Italie et en Espagne. Beaucoup pointent là aussi l'absence de législations concertées, notamment sur les brevets, la propriété intellectuelle ou encore les marques. Une carence qui a un fort coût pour les marques forcées de déposer des brevets dans la plupart des pays européens.

Des actions coordonnées se mettent doucement en place. De manière ponctuelle encore, à l'image de l'accord tissé entre les douanes française, allemande et britannique pour lutter contre le trafic de médicaments contrefaits. Un nouveau pas a néanmoins été franchi les 16 et 17 mars derniers. Le Conseil de l'Union européenne a adopté un plan d'action douanier européen contre les contrefaçons 2009 - 2012. Elaboré sous présidence française, il s'attaque aux contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des consommateurs, aux réseaux de criminalité organisée avec notamment la mise en place d'une plateforme d'échanges d'informations entre les administrations douanières de l'Union. Face à la mondialisation du phénomène, il s'attache à renforcer les coopérations bilatérales, voire multilatérales avec la préparation d'un traité en ce sens : ATCA (traité commercial anti-contrefaçon). Enfin, des accords de coopération entre les professionnels de la vente en ligne et les pouvoirs publics devraient voir le jour.

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