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6 juil. 2018
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Eric Pestel (Lookadok) : "Le client devient expert, le vendeur stratège !"

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6 juil. 2018

Concepteur de la formation « Top Vendeur » mise en place par l’Alliance du Commerce, Eric Pestel n’est pas inquiet pour l’avenir des métiers de la vente en magasin. Celui qui a fondé en 2000 avec Nathalie Delhoume l’agence de formation Lookadok évoque pour FashionNetwork.com l’importance et le rôle protéiforme d’un vendeur humain à l’ère numérique.


Eric Pestel - Lookadok


FashionNetwork.com : Qu’est devenu aujourd’hui le rôle du vendeur ?

Eric Pestel : A l’origine, les vendeurs étaient formés aux produits d’un côté et à la relation client de l’autre. Aujourd’hui, l’objectif d’un vendeur est de créer une relation entre le client et le produit, et la marque qui est derrière. C’est de là que découle la notion de storytelling, afin de créer un engagement du client vis-à-vis de la marque. Outre un lieu de vente, le magasin devient un lieu d’expérience, que le vendeur va accompagner. Il ne peut plus se contenter d’être descriptif, il doit raconter le produit. Sans oublier la capacité au « small talk », ces conversations anodines qui permettent de mettre à l’aise le client. En ce sens, le vendeur agit comme un community manager, capable d’évaluer le degré d’engagement du client vis-à-vis de la marque et de déterminer par exemple à quel intervalle se rappeler à son bon souvenir. Certaines nouvelles pratiques contribuent à ce rôle.

FNW : Comme le drive-to-store et l’e-réservation ?

EP : L’e-réservation est un point crucial, car le vendeur devient stratège, passe d’une approche B2C à B2B. Son activité était basée sur l'improvisation, analysant le client pour improviser des propositions. Mais avec l’e-réservation, le vendeur sait qui va venir dans le magasin. Et a donc les moyens d’étudier à l’avance son historique de vente, les produits consultés en ligne - cherche-t-il un type de produit, de coupe, de couleur ? -, voir son activité sur les réseaux sociaux... De là, vous établissez une stratégie, à la manière des commerciaux B2B, qui connaissent les clients et préparent chaque vente. Même sans recourir aux fameuses intelligences artificielles, le vendeur a cette capacité à analyser des données pour établir des propositions pertinentes et mûries.

FNW : Cette décennie a vu apparaître de nouveaux équipements pour les vendeurs, comme des tablettes. Est-ce efficace ?

EP : Oui, car cela permet toujours de renforcer en termes d’informations. Même un vendeur expérimenté ne peut connaître entièrement l’énorme catalogue de son enseigne. Il y a des outils de clienteling qui proposent des suggestions en fonction des achats du client. Le vendeur doit se réapproprier cela. Car il peut percevoir des informations que la machine n’a pas, comme l’état d’esprit ou le contexte d’achat du client. C’est une marge de manœuvre qui lui permet d’intégrer les informations qui peuvent être utiles. Par contre, il ne faut pas se contenter de lire les suggestions de la machine. Le client, qui peut avoir ça tout seul sur Internet, n’en sera pas satisfait. C’est là où complicité et finesse d’analyse permettent au vendeur d’être un initiateur, qui guide notamment sur les tendances. Les millennials s’attendent à ce que les vendeurs soient équipés de tablettes. Mais ce ne sont que des outils.

FNW : Quelles ont été les réactions des vendeurs participant aux formations de l’Alliance du Commerce ?

EP : La première session a réuni 300 personnes, qui sont eux-mêmes des clients et étaient donc conscients des nouvelles attentes des consommateurs. Il y a eu des questions comme « Que faire quand un client cherche le produit ailleurs sur son téléphone ?», ce fameux « showrooming ». Typiquement, c’est une occasion de proposer son aide et de rebondir, de suggérer des blogs, les avis laissés par des clients. Tout est bon pour positiver l’échanger avec le client, l’orienter vers un achat. Tout sauf le laisser dans son coin, au risque qu’il trouve mieux ailleurs. D’autres s’interrogent sur la méthode pour demander les coordonnées des clients sans être invasif. Mais la question qui se posait le plus porte sur le temps de paiement, qui tend à s’accélérer. Or, pour les vendeurs, le temps nécessaire à sortir sa carte et faire son code était l’opportunité de discuter, créer du lien. Beaucoup craignent la disparition de ce moment d’échange.

FNW : Le client est-il réellement mieux informé que le vendeur, comme le veut l’expression employée depuis dix ans ?

EP : C’est fondamentalement faux. Et notre travail est notamment d’en convaincre les vendeurs. Le client en sait plus sur une chose précise, sur laquelle il a mené des recherches, par exemple un pantalon bleu, dont il aura vu les modèles concurrents. Le vendeur, lui, a une connaissance globale, transversale, sur l’offre pantalon, la manière de le porter, son tombé, les produits se mariant avec… Un vendeur ne doit pas être désarçonné par la connaissance du client, mais rebondir dessus. « Ah, merci, je l’ignorais, d’ailleurs cela me fait penser que… » puis renvoyer le client vers ses propres connaissances, pour engager une discussion « entre experts ».


Visuel issu de la campagne de l'Alliance du Commerce pour la promotion des métiers de l'habillement - Alliance du Commerce


FNW : Le numérique a donc causé une perte de confiance des vendeurs ?

EP  : Vous avez d’une part des clients qui ont fait sentir aux vendeurs qu’ils n’avaient plus vraiment besoin d'eux, puisque abreuvés de sites, blogs, tutoriels… D’autre part, des marques ont investi dans des outils, écrans et bornes, tendant à autonomiser le service. Ces outils peuvent créer un doute chez les vendeurs. Les amenant à se demander si les magasins ont encore un avenir et si des vendeurs y seront encore nécessaires. La formation Top Vendeurs s’avère rassurante pour eux sur ce point. Mais le client monte en niveau. Le vendeur doit en faire autant. Et devenir un stratège. Ce qui implique notamment qu’il aime son produit, sa marque, pour renouer avec un côté « commerçant ».

FNW : Les grandes enseignes où les vendeurs, de passage, ne voient qu’un revenu alimentaire ont-elles fait du tort au métier ?

EP : Autour des années 2010, le retail s’est développé autour de la standardisation. Cette uniformisation a desservi tout le monde. C’était sans doute nécessaire, car cela a contribué à une professionnalisation, à la mise en place de méthodes et structures, pour améliorer la qualité ou le sourcing. Tout cela a amené à la fast fashion. Les vendeurs ont pâti de cette course à la performance. Dans un contexte hyper-standardisé, l’humain n’apparaît plus comme nécessaire. Or, c’est bien un retour à l’humain qu’imposent les nouvelles attentes des consommateurs. Ce qui s’oppose à un turn-over rapide des équipes, qui n’apportera pas une relation stable et bénéfique dans le temps.

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