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7 avr. 2004
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Nez, un métier d'art et de magie

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7 avr. 2004

Olivia Jan, y a t-il une école du nez ? Oui. J’ai fait l’ISIPCA à Versailles, une école qui recrute après un Deug de chimie et qui forme les parfumeurs et les évaluateurs. Il y a d’autres écoles, mais celle-ci est la plus connue. Pour y entrer, il faut passer un concours en trois parties : une épreuve de chimie, une épreuve d’anglais et la plus importante, l’épreuve d’olfaction. A l’école, nous apprenons environ 300 notes de base qui servent ensuite à faire des assemblages. Il en existe beaucoup plus mais nous les découvrons au fur et à mesure en travaillant. Vous avez tout de suite travaillé chez Robertet après vos études ? Non, j’ai d’abord effectué un remplacement chez Chanel qui a son propre laboratoire. Puis, j’ai travaillé chez Robertet pour être formée en tant que parfumeur. Je suis partie à Grasse pendant un an et suis ensuite revenue à Paris. Comment avez-vous eu l’idée de faire ce métier ? Quand j’avais une douzaine d’années, je suis allée avec mes parents à Grasse. Nous avons visité les parfumeries (Molinard, Fragonard…). Avant, je n’avais jamais imaginé que quelqu’un était à l’origine des parfums. J’ai trouvé ça passionnant. J’ai su alors que je voulais faire ce métier même si mes parents ne croyaient pas trop en ma soudaine vocation. Avez-vous un odorat particulièrement développé ? Est-ce un don ? Non, ça se travaille. Comme nous sentons tout le temps, nous sommes de plus en plus sensibles et réceptifs aux odeurs. Bien sûr, au départ il faut avoir un bon odorat et une certaine sensibilité. Mais il faut surtout faire des constructions d’odeur dans sa tête. C’est comme pour un compositeur. Il est important qu’il ait une bonne oreille mais il n’a pas besoin d’avoir une ouïe hyper développée. L’essentiel est qu’il puisse imaginer des accords de notes. Il faut être créatif. L’odeur vient-elle d’éléments naturels ou de molécules chimiques ? Les deux, cela dépend de ce que l’on veut obtenir. Par exemple, si on veut une note rose pour une bougie ou un gel douche, on ne prend évidemment pas d’essence de rose qui coûte extrêmement chère et n’est donc utilisée que pour le luxe, la parfumerie alcoolique. Nous nous servons plutôt des molécules que l’on assemble pour faire une note rose à laquelle on peut donner des inflexions différentes : fruitée, épicée, vanillée, sensuelle. Le naturel, c’est mieux ? Non. Souvent, les gens ont tendance à croire que quand c’est «chimique», c’est moins bien. Mais c’est faux, c’est juste différent. Certaines molécules chimiques coûtent très chères et sont utilisées pour obtenir des odeurs qu’on ne peut pas obtenir avec des produits uniquement naturels. Si les parfumeurs n’exploitaient que des molécules naturelles, les parfums finiraient par faire vieillots. Les gens n’ont plus envie de porter les parfums de leurs grands-mères, ils ont envie d’odeurs différentes mais pour les obtenir, il faut de nouvelles techniques. C’est comme pour les tissus, certains vêtements ne peuvent pas être confectionnés avec des tissus traditionnels, on a besoin de nouvelles matières. D’ailleurs, la chimie est également au service du naturel puisqu’elle nous permet d’obtenir des nouvelles formes d’extractions qui restituent encore mieux l’odeur de la plante fraîche. De plus, nous pouvons dorénavant utiliser des végétaux qui jusque là n’étaient pas exploités en parfumerie : le shiso par exemple, une plante utilisée dans la cuisine japonaise ou le poivron vert qui apporte une note verte particulière. Comme je travaille dans une société de matière première naturelle, j’ai la chance d’avoir une très large palette à ma disposition. Est-ce une profession artistique ou scientifique ? Ce n’est pas très scientifique. C’est davantage artistique mais nous sommes tout de même très tributaires du marché. Il est impossible de partir dans des délires de créations invendables. Il faut rester dans une optique commerciale. Quelles sont les différentes activités de la société Robertet ? Il y en a trois. Une activité naturelle : Robertet est une société familiale grassoise qui développe des matières premières naturelles, la fabrication d’essences et d’absolues à partir de nombreux végétaux. C’est une partie importante et historique de la société. Elle a également une activité de création, composition, formulation et élaboration de parfum dans laquelle je travaille. Enfin, il y a une partie plus récente qui s’occupe des arômes alimentaires. Ce sont deux secteurs très différents et séparés. On ne travaille pas à la fois en parfumerie et aux arômes même si ces deux métiers comportent des similitudes. Quel est le processus de création d’un parfum, de l’idée à la vente ? Lorsqu’une marque décide de faire un parfum, elle lance un brief, c’est à dire un appel d’offres à différentes sociétés de création. Dans ce brief, il y a la cible du parfum, des planches de tendances pour donner une ambiance, les textures, les couleurs… Le parfumeur se sert de cette atmosphère, s’en imprègne pour créer un parfum qui correspondrait à cet environnement et à ce type de clientèle. Puis, les parfumeurs de la société travaillent chacun sur un parfum. Quand ils sont prêts, les différents travaux sont présentés au client. Ce dernier donne son avis et fait retravailler celui qu’il préfère. Il donne des orientations pour affiner le parfum. Cette étape peut durer très longtemps, souvent plus d’un an, jusqu’à ce que le client obtienne exactement ce qu’il désire. Plusieurs sociétés sont alors en concurrence. Puis, le client fait un choix définitif et décide du parfum qu’il va acheter. Le parfumeur travaille seul sur une formule mais en revanche, il est très entouré par l’évaluation et le commercial interne à sa société. Quels sont les parfums que vous avez créés ? Avez vous des droits sur eux ? J’ai créé « Eau d’Amour », la version pour maman de Tartine & Chocolat, l’« Eau Transparente » pour Montana et le parfum des Triplés de Nicole Lambert. J’ai également réalisé pas mal de bougies, gels douche, shampoings, crèmes… J’aime travailler sur des supports différents. Je n’ai aucun droit sur les parfums que j’ai créés. Ils appartiennent à la société pour laquelle je travaille. Peut-on reconnaître un nez par les parfums qu’il crée ? C’est possible, chacun a sa «patte». Mais comme nous travaillons en fonction des désirs du client, le parfum proposé au départ est très différent de celui qui sort sur le marché. Le style personnel est au service de chaque client. Beaucoup de marques testent les parfums avant de les lancer. Un parfum doit trop souvent être commercial avant d’être créatif. Comment les parfums sont-ils protégés ? C’est une question à laquelle personne n’a de réponse. Il n’y a aucune loi. Il est très difficile de protéger une odeur. Les marques attaquent principalement sur le packaging, le nom, le flacon. Beaucoup de juristes travaillent sur ce problème afin de trouver un moyen pour protéger les odeurs. Aujourd’hui, le dépôt de formule n’existe pas car il est possible d’obtenir à peu près la même odeur à partir de constituants différents. Propos recueillis par Benoîte TAFFIN

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