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David Le Douarin (Advalo) : "Le marketing prédictif prouve qu’Internet est la première porte d’entrée vers le magasin"

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25 sept. 2018

Jadis hermétiques à l'idée de vendre en ligne, puis tardant ensuite à rompre les silos isolant leurs canaux de distribution, les enseignes physiques vendent désormais plus de mode en ligne que les pure-players. Une mutation qui a transformé au passage la place du marketing dans leurs activités, avec notamment la montée en puissance du marketing prédictif, soit l'art de prédire les comportements des consommateurs par le regroupement et l'analyse de données. Un domaine dans lequel la société rennaise Advalo accompagne les groupes Beaumanoir (Cache Cache, Bonobo, Morgan...), Fashion3 (Rouge Gorge, Grain de Malice), entre autres. Son cofondateur David Le Douarin évoque pour FashionNetwork.com les ressorts et enjeux de cette discipline.


David Le Douarin - Advalo


FashionNetwork : Quel rôle joue le marketing prédictif dans l’équipement de la personne ?

David Le Douarin : Aujourd’hui, les enseignes de l’équipement de la personne et de la maison ont des problèmes pour générer du trafic en magasin. Elles utilisent énormément de pression marketing pour attirer les consommateurs vers elles. Ce dont ces derniers ne veulent plus, et qui a amené aux bloqueurs de publicité ou au règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD), l’évolution naturelle des règles de la CNIL. Chaque enseigne textile envoie trois à quatre newsletters par semaine. Or, si un client suit dix enseignes, elles finissent à la poubelle. Toute cette capacité qui servait avant à toucher le client a donc été perdue car les enseignes sont allées trop loin, en mettant trop de pression. Il faut donc retrouver d’autres façons de nouer une relation, plus intime, pour moins parler, mais le faire à des moments plus pertinents.

FNW : Quels sont les moments les plus appropriés pour entrer en contact avec le consommateur ?

DLD : Quand vous découvrez un magasin et qu’un vendeur propose son aide, vous répondez « Non, je regarde ! ». Car vous êtes dans un temps inspirationnel. Celui-ci précède un temps transactionnel où, par contre, vous êtes content d’avoir l'aide du vendeur pour qu’il vous trouve la bonne taille. Sur Internet, le temps inspirationnel n’est pas respecté : il y a des bannières et des pop-ups partout. Et quand j’ai décidé d’acheter, voilà qu’on me propose, à contretemps, d’autres produits en promo. Notre but, donc, est de définir par la data quel est le bon moment pour proposer le bon produit au bon consommateur. S’il est en phase d’inspiration, je vais lui parler de l’histoire de la marque. S’il est en phase de transaction, je vais lui proposer des produits et des réservations.

FNW : A quel moment le marketing bascule-t-il dans le prédictif ?

DLD : Ce qui a changé, c’est le périmètre de données. Avant, les marques segmentaient leurs clients à chaque saison (nouveaux, habitués, VIP…). Aujourd’hui, on peut le faire à chaque minute. L’enjeu est alors de sortir d’un marketing de masse pour une approche individualisée. Dès que le client accepte les ‘cookies’, nous savons s’il est proche d’un magasin, quels produits l’intéressent, s’il a déjà acheté... Prend alors forme un ‘score d’intention’. Le prédictif permet d’anticiper un comportement : « Statistiquement, il y a de plus fortes chances que le client soit intéressé par ce produit-là ». Et là, il faut encore définir le moyen le plus pertinent s’adresser à lui.

FNW : Que vous apprennent ces données sur les parcours d’achat ?

DLD : Avec le groupe Beaumanoir, via le rapprochement des données en ligne et des cartes d’adhérents, nous avons pu démontrer que plus de 50 % des achats réalisés le samedi dans les magasins étaient préparés dans les sept jours via Internet. Le marketing prédictif a complétement retourné les choses, permettant aux responsables e-commerce de prouver qu’Internet est la première porte d’entrée vers les magasins. Si on parle à son client avant, pendant et après l’achat, et qu’il se met à acheter online comme offline, il dépensera trois à six fois plus que les autres, selon les enseignes. Déterminer cette 'valeur client', qui correspond à ce qu’il dépense chez moi, est donc primordial.

FNW : Pourquoi cette importance de la ‘valeur client’ ?

DLD : Déjà car elle permet de cibler, via des bannières, d’autres clients, nouveaux ou moins assidus, ayant un profil similaire. Ensuite parce que cela va me permettre de moduler mes offres pour proposer des réductions plus fortes aux clients que j’ai absolument envie de garder. C’est un enjeu : on sait qu’un client qui a fait deux ou trois achats sur votre site vous est ensuite très fidèle. Donc on investit largement sur certains individus, parce que l’on sait que c’est par eux, demain, qu’il y aura le meilleur retour sur investissement.

FNW : Quid de la pertinence des recommandations de produits ?

DLD : Nous arrivons aujourd’hui, en regardant les produits consultés, achetés ou juste mis en panier, à évaluer quel autre produit à le plus de chance d’être acheté, pour faire du ‘cross-selling’ (action de soumettre au client une sélection de produits, au moment de l’acte d’achat ou a posterio, en vue de réaliser des ventes additionnelles, ndlr). Concernant la mode, cela se traduit de manière spécifique car certaines morphologies correspondent mieux à certains produits. Via les interactions antérieures, on peut déduire la morphologie du client, et donc proposer un certain style de pièces.

FNW : Les marques comprennent-elles aujourd’hui ces différents usages ?

DLD : Dans les directions, le digital et la relation client sont historiquement des services séparés. Il a fallu qu’ils apprennent à travailler ensemble, car c’est le même client qui passe sur Internet et en boutique. C’est une vraie transformation. Aujourd’hui, on voit les directions marketing être confiées à des personnes du digital, ce qui change tout. Avant, ce qui faisait foi, c’était l’emplacement du magasin. Aujourd’hui, avec la multiplication des surfaces commerciales, il n’est plus une garantie de succès, puisque le client a cinq zones de commerce autour lui. Ce qui change tout, alors, c’est la proximité relationnelle : avec une relation basée sur l’inspiration, l’individualisation, vous donnez envie de revenir.

FNW : Quelles seront demain les possibilités offertes par le marketing prédictif ?

DLD : Demain, idéalement, la machine saura suggérer aux équipes marketing certains types d’opérations en fonction des agissements de certaines typologies de clients. Notamment en utilisant le recul acquis d’année en année. Pour l’heure, on peut déjà avertir des points de vente que des clients présents dans leur zone de chalandise ont recherché en ligne tel ou tel type de produit. Et que donc certaines pièces devraient être mises en évidence en vitrine et sur la table d’attaque. Non sans impact sur les ventes.
 
 

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