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 Le noir: la couleur préférée des Parisiens?

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20 déc. 2014

Mais pourquoi les Parisiens s'habillent-ils tous en noir? Dans les rues de la Ville Lumière, capitale de la mode et de la morosité française, le noir chic a cédé devant le noir pratique, devenu l'uniforme.

Photo AFP


La vision des rames du métro parisien en total look noir est un spectacle qui n'étonne plus que les étrangers. Ou les expatriés rentrant après une longue absence. Comme si le mental des Français déprimés par la crise déteignait sur les standards du chic parisien, chers à Chanel et son iconique petite robe noire, ou Saint Laurent et son smoking fétiche.

D'autres secteurs que la mode sont plongés dans la noirceur en France. En maquillage, malgré le retour des couleurs régulièrement annoncé, les magazines continuent de vanter "l'ultranoir", le "smoky" ou le "charbonneux".

Côté beaux-arts, depuis cet été, les spécialistes décortiquent les différentes textures de "l'outrenoir", vocable forgé par le peintre Pierre Soulages, dont le musée regroupant quelque 250 de ses oeuvres, où le noir domine, vient d'ouvrir à Rodez (Aveyron), sa ville natale.

Rien à voir avec la crise et la dépression, assurent les modeux. Cette "non-couleur" serait tout simplement au-dessus de toutes les autres. Même si elle pèse aussi dans les rues de la capitale en hiver.

"Noir c'est impétueux, c'est une attitude, l'élégance suprême, et la suprême modernité", assure Sophie Lafite du cabinet de style Promostyl. "Chic, moderne et passe-partout" ajoute le couturier Michel Léger qui tient boutique depuis plusieurs décennies dans le chic 6e arrondissement.

Après l'envol de la rigueur zen japonaise dans les années 80-90, la diffusion du noir doit aux rebelles, les "gothiques" et les "bikers", dit à l'AFP le couturier Christian Lacroix.

Cette couleur "noie les défauts de coupe", est "garante d'une certaine allure, (...) d'une certaine noblesse", ajoute le créateur, en avouant au passage qu'il a longtemps envié "ceux dont l'image de marque était le minimalisme et le noir" lorsqu'il avait sa propre maison, connue pour... ses couleurs du Sud.

"Nous nous compliquions vraiment la tâche en proposant des familles d'imprimés coordonnées à des gammes d'unis", dit-il dans une interview réalisée par mail.

Aujourd'hui, "on ne propose pas grand chose d'autre (que du noir, ndlr) dans les magasins", admet Christian Lacroix. Et l'ensemble du prêt-à-porter est engagé dans un "cercle vicieux" qui conduit à "proposer toujours beaucoup de noir": "On pense que c'est se qui va se vendre, puisque ça s'est vendu, et.. effectivement ça se vend".

"Ca fait branché, tous les architectes s'habillent en noir. Cette couleur permet à moindre frais d'avoir de l'audace, alors qu'on n'en a pas du tout (...) C'est devenu un uniforme" à Paris, tempère Michel Léger.

Claudia N. approuve. En noir de la tête aux pieds dans les Jardins du Palais Royal, en plein coeur de Paris. Lorsqu'elle est en Italie, cette réalisatrice de documentaires franco-italienne, affirme ne "jamais" s'habiller "en noir dans la journée": "En fait, le noir c'est surtout la couleur de Paris!"

L'historien des couleurs Michel Pastoureau dédramatise: "Aujourd'hui, le noir vestimentaire n'a plus rien d'agressif ni de tabou", écrit-il dans "Noir, histoire d'une couleur" (Seuil).

"Le noir est la teinte qui résiste le plus longtemps à des lavages répétés", ce qui en fait son intérêt actuel, alors qu'au Moyen-Age, les teinturiers ont mis des décennies à fixer cette couleur, de facto réservée à ceux qui pouvaient se le permettre, riches et puissants, politiques ou religieux.

Spécialiste des couleurs, images et symboles, à l'Ecole pratique des hautes études, Michel Pastoureau relève surtout l'importance des locutions d'usage courant qui soulignent la dimension "secrète, interdite, menaçante ou funeste" de la couleur d'une nuit sans lune. La liste est longue: de "mouton noir" à "série noire" en passant par "idée noire", ou "broyer du noir".

Justement. Les Français en broient beaucoup de noir, ils sont même les "champions du pessimisme collectif", selon Emmanuel Rivière, directeur de l'unité stratégies d'opinion chez TNS Sofrès. "Effectivement, on pourrait prendre la question vestimentaire (autour du noir, NDR) pour le signe de ce pessimisme", dit-il à l'AFP, en discernant aussi "une nette valorisation de l'élégance et du chic" chez ses concitoyens.

Pour la confiance collective dans l'avenir, les Français sont en dernière position en Europe alors que la crise frappe plus durement d'autres pays, souligne Emmanuel Rivière, en se basant sur une étude réalisée auprès de 2.500 individus en France, Allemagne, Espagne, Italie et au Royaume Uni, du 13 au 22 octobre 2014.

"Les Français ont tendance à plutôt regarder les choses de manière négative, alors qu'on vit encore bien en France", approuve Karin Finkenzeller, correspondante à Paris de l'hebdomadaire allemand Wirtschafts Woche.

"On parle beaucoup du french bashing, mais à moi, cela ne me fait pas plaisir" dit la journaliste allemande, "je préfère raconter la France qui bouge et les start-upers".

"En France, on a tendance à mettre des lunettes noires, et avec des lunettes noires, c'est très difficile de voir le soleil".

Par Isabel MALSANG, Guillaume BONNET

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