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21 déc. 2020
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A Paris, la chute des géants du textile redessine le marché de l'immobilier commercial

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21 déc. 2020

Paris prépare les fêtes de fin d’année. En fin d’après-midi, la façade de l’Hôtel de Ville et son village de Noël s’illuminent. Les Champs-Elysées se parent de rouge. Partout dans la capitale, les badauds, grands sacs remplis de cadeaux à la main, se pressent le long des trottoirs. Mais si les Parisiens semblent avoir le cœur à la consommation pour préparer des retrouvailles familiales, même masquées, les lumières des fêtes peinent à masquer les nombreux magasins qui ont baissé le rideau durant cette année 2020. A la Madeleine, deux boutiques de l’emblématique traiteur Fauchon ferment. Sur la rue de Rivoli, agences de voyages et magasins de vêtements comme le flagship Z ou la boutique Stradivarius n’ont pas rouvert après le second confinement. Même sur les incontournables Champs-Elysées, désertés par les touristes, les annonces de départs se multiplient, de Citadium à Abercrombie & Fitch en passant par Gap.
 

Les Champs-Elysées - Shutterstock


L’année 2020, avec plus de trois mois de fermeture pour certains commerces suite aux mesures de confinement, va donc profondément marquer le paysage commercial parisien. D’autant qu’avec la chute drastique du nombre de touristes, les mesures sanitaires imposées dans les commerces pour lutter contre la propagation du virus et des consommateurs qui ont pris de nouvelles habitudes d’achats via le net, le trafic sur les artères commerçantes s’est notoirement dégradé. Fin novembre, le baromètre de Centre-Ville en Mouvement annonçait que 41% des Français estimaient moins se rendre en centre-ville. Selon la société d’analyse de trafic piéton Mytraffic, qui réalise un baromètre sur l’ensemble de la France, la fréquentation des centres villes a été en baisse de 24% ces deux derniers mois par rapport aux deux premiers mois de l’année.

A Paris, sur les Champs-Elysées ou rue de Rivoli, le recul est de l’ordre de 50%. Certes moins important que lors du premier confinement, mais avec un lourd impact tout de même sur l’activité des commerces. Un élément majeur que pointait du doigt le spécialiste de l’immobilier commercial Cushman & Wakefield, en octobre en dressant dix tendances du marché des commerces. Les artères sont pénalisées par l’absence de flux, avec un impact sur les chiffres d’affaires. Une réalité qui a "pour conséquence immédiate une pression à la baisse des valeurs locatives, qui risque d’être pérenne".

Les confinements ont dans un premier temps sensiblement tendu les relations entre bailleurs et locataires. "L’année a été rythmée au gré des discussions, pour ne pas dire des négociations âpres entre locataires et bailleurs, souligne Christian Dubois, directeur du services commerces de Cushman & Wakefield France. Cela a généré nombre d’amertumes lors du premier confinement et l’on sent que tout n’est pas résolu, là où le dernier confinement a créé moins de tensions car nous avons un gouvernement qui a très vite opéré une intervention fiscale qui permet de répartir la douleur entre le propriétaire, le locataire et l’Etat. En moyenne en novembre, il n’y a pas de contentieux. Pour le printemps, la majorité des accords ont été trouvés entre 30 et 45 jours." Le dirigeant précise toutefois que pour un certain nombre de locataires bénéficiant de baux anciens, en deçà de la valeur du marché, le plafonnement a fonctionné comme un amortisseur.

Quelque 40% des mètres carrés fermés en France concernent les enseignes mode et textile



Reste qu’avec nombre de fermetures, le taux de vacance commerciale a bondi ces derniers mois. Et même si certains lieux ouvrent encore leurs portes, le solde est clairement négatif. Impliquant, de fait, une pression sur les valeurs locatives. "Vous avez actuellement une pression directe, du fait de locataires qui rendent les clés, analyse Christian Dubois. Mais vous avez aussi quelque 2,7 millions de mètres carrés qui ont changé de main à travers des cessions de réseaux et des arbitrages directs ou des redressements et des liquidations judiciaires".


C&W



Et dans ce domaine, le textile a connu sa part de déconvenues ces derniers mois. Déjà confrontées à la nécessité de transformer leur modèle avant la crise, les enseignes de mode ont pris de plein fouet les changements de mode de consommation qui ont fait la part belle à l’achat sur internet ces derniers mois. Quelque 40% des mètres carrés fermés en France concernent les enseignes mode et textile. Les surfaces qu’elles occupaient précédemment trouvent depuis difficilement preneur.

"A Paris, les enseignes qui étaient les grands occupants des surfaces de 600 à 1.500 mètres carrés étaient très majoritairement les enseignes textiles. Il y a eu une course à la concurrence sur ces formats. Ces grandes surfaces sont le fait de restructurations d’immeubles lancées par des propriétaires et le temps d’obtenir les autorisations et de réaliser les travaux, il se passe en moyenne deux ans. Vous avez donc une livraison de stocks de produits restructurés qui ont été imaginés en 2017, avec des records de valeur locative et une dynamique dans le sport, le textile, l’électronique et le luxe. Ces produits ont été imaginés en pleine dynamique haussière et sont livrés en pleine pandémie."

Résultat, la vacance est à la hausse sur ces formats, installés sur des axes majeurs. Et les valeurs sont en train de chuter. "Imaginer que demain les emplacements numéro 1 soient 15 à 30% moins chers que la valeur locative la plus chère de 2019 me semble être raisonnable à moyen terme", estime Christian Dubois.

L’enjeu sera donc de rapidement convertir les formats peu désirables pour en faire des actifs bien plus recherchés par des acteurs comme ceux de la beauté ou de nouvelles marques ambitieuses. Car tout n’est pas noir. Certains quartiers de Paris ont connu des reculs de fréquentation modérés ces derniers mois (entre -15% et -20%). A l’instar des villes en régions, ils ont pu s’appuyer sur leur clientèle de quartier.


AFP


"Les quartiers locaux, type Passy, Batignolles, ont bien résisté. A Passy, il y a beaucoup de demandes de transactions et le quartier Batignolles, qui n’était pas forcément très recherché initialement, monte en puissance, analyse Antoine Vandamme, spécialiste du marché parisien. Nous avons installé par exemple Atelier Coquelicot, une enseigne de prêt-à-porter qui était à Rennes et Nantes. Nous avons aussi signé avec By Charlot qui avait commencé par un pop-up store. Ces digital brands (marques nées sur internet, ndlr) sont aujourd’hui dynamiques. Ce qui est intéressant c’est qu’elles sont agiles. En ayant levé des fonds, elles décident de payer des droits au bail et avoir ensuite un loyer plus faible sur des axes qui prennent de la valeur. C’est totalement à l’opposé de ce que font les acteurs historiques."

Ces jeunes acteurs, dont l’activité s’est consolidée ces derniers mois et qui ont pour certains même levé des fonds, apparaissent comme les animateurs d’un marché qui se recompose. Dans le Marais, rue des Francs-Bourgeois ou rue Vieille-du-Temple mais aussi à Saint Germain où des Hackett et Napapijri sont partis, ils regardent pour s’implanter. Souvent ils optent pour des baux éphémères ou de dix-huit mois qui pourraient ensuite se convertir en baux classiques. Les bailleurs, conscients du contexte, sont beaucoup plus souples en la matière qu’en 2019, ce qui pourrait permettre de convertir plus rapidement la typologie d’axes en délicatesse ou monothématiques dans les prochains mois. Mais s’ils deviennent plus ambitieux et attentifs aux opportunités dans le retail, à l’instar d’acteurs plus traditionnels qui sont en recherche de belles surfaces en emplacements n°1, les digital brands visent des quartiers avec une clientèle locale.

"Quand des acteurs se rendent compte qu’ils sont trop dépendants d’un profil de consommateurs, qu’il s’agisse de touristes internationaux ou de salariés dans les quartiers d’affaires, ils vont donner la primauté à des emplacements plus locaux, précise Christian Dubois. Ceux-ci seront peut-être moins fréquentés, mais on est sûr qu’ils seront fréquentés tous les jours."
 

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