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8 avr. 2019
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A Stockholm, H&M s'active à réduire son empreinte environnementale

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8 avr. 2019

Une déclaration qui doit résonner comme une conviction : « Notre planète accueillera près de 3 milliards de personnes en plus d’ici 2050. Cela crée de grandes opportunités pour un groupe comme le nôtre, c’est bien. Mais cela signifie aussi de grands impacts si nous continuons dans la manière dont l’industrie est actuellement organisée. L’innovation doit nous permettre de trouver des solutions, d'aller vers une industrie circulaire. Et nous pouvons jouer un grand rôle en promouvant les innovations ».


Karl-Johan Persson, lors de la conférence de la fondation H&M, le 3 avril - FNW


Le 3 avril dernier, la personne qui s’exprime à Stockholm en ouverture de la conférence annuelle de la fondation H&M sur la RSE et les nouvelles technologies, n’est pas responsable de l'écoresponsabilité ni même en charge de l’innovation au sein d’H&M. Il s’agit de Karl-Johan Persson, directeur général du puissant groupe suédois fondé par son grand-père il y a près de 70 ans.

Le soir même, son père, Stefan Persson, directeur du conseil d’administration du groupe familial (les membres de la famille ont plus de 70 % des droits de vote, ndlr), remettait pour la première fois le trophée Global Change, organisé depuis quatre ans par la fondation H&M. Bien que plus à l’aise sur les vertus du libre-échange pour porter le progrès social, le dirigeant appuyait aussi le propos.

Nous nous sommes rendus à Stockholm au siège d’H&M pour tenter de comprendre la philosophie de la maison avec quelques interrogations en tête. Comment développer un propos cohérent avec ses actions lorsque l’on produit des millions de tonnes de vêtements, accessoires et objets de décoration chaque mois ? Peut-on aborder ces sujets lorsque l’on réalise un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards d’euros en 2019, compte 4 968 boutiques et s’appuie sur un réseau de 2 383 usines dans le monde avec une production réalisée pour les deux tiers en Asie ?

Face à ces défis, le groupe appuie son message écoresponsable par tous les biais et via tous ses canaux, auprès de ses clients avec ses newsletters, dans ses opérations - comme celle annoncée du 11 au 14 avril prochains dans son flagship parisien du Boulevard Haussmann, où le groupe va présenter au public ses nouvelles matières durables dans une sorte de laboratoire créé de toutes pièces au 2ème étage - ou encore via la mise en avant de collections telles que la nouvelle ligne de bain en tissus recyclés de sa marque pour jeunes Monki.

Avancer sur les sujets d'écoresponsabilité à plusieurs

Pour entrer dans le détail de ses initiatives, le groupe organisait dans ses locaux de Stockholm une matinée pour présenter ses avancées et son approche en termes d’écoresponsabilité et d’innovations. Un point clé : H&M ne peut avancer seul dans les défis de transformation de la chaîne de production textile. « Beaucoup de marques ont recours aux mêmes usines et lorsque nous voulons travailler sur les salaires, les produits chimiques et autres sujets, nous devons le faire ensemble, explique Anna Gedda, qui dirige le volet écoresponsabilité du groupe. Les grands acteurs du textile représentent une petite part de l’industrie. Au total, cela doit avoisiner les 5 %. Le rapport The Pulse of the fashion industry du Global Fashion Agenda examine qui fait beaucoup et qui fait moins, et ce qui est observé c’est que les marques spécialisées et petites font en fait un peu moins ».

Le groupe met ainsi en avant son engagement à réduire ses émissions carbone (il vise à être "climate positive" sur ses opérations en propre à l’horizon 2040), sa volonté de donner plus de transparence à ses process et ses avancées dans l’utilisation de matières plus responsables. Pour progresser sur le chemin d’une mode plus responsable, H&M s’est adossé à des partenaires qui portent un propos fort en termes de responsabilité environnementale et sociale comme le Sommet de la Mode de Copenhague, la fondation Ellen MacArthur ou encore le WWF.

La publication de son rapport environnemental et social est l’occasion pour H&M de faire le point chaque année sur l’amélioration de son impact écologique et social. Déjà développé sur le site de sa marque Arket, le groupe annonce déployer son outil de présentation détaillée du sourcing d’un produit pour le site de la marque H&M en 2019. Côté responsabilité sociale, le groupe met en exergue son programme "Fair Living Wage Strategy" qui vise à permettre aux ouvriers des usines de ses sous-traitants de développer une représentation des salariés pour améliorer leurs conditions de travail. Et l’un des piliers de la stratégie RSE du groupe est d’avoir un sourcing matière plus responsable.


Les responsables innovations et écoresponsabilité d'H&M lors d'une présentation au siège de Stockholm - FNW


Dans son édition 2018, le groupe souligne notamment que 57 % des matériaux utilisés dans sa production sont recyclés ou responsables, . Sa marche en avant est principalement réalisée sur le coton, où le groupe revendique 95 % de coton responsable ou recyclé. Son objectif est d’atteindre les 100 % en 2020. Si 79,9 % de son coton est estampillé BCI (Better Cotton Initiative), qui valide une formation des acteurs de la chaîne de production de coton, la part de coton organique a aussi gagné en importance cette année. Elle représente 14,6 % de ses produits en coton, contre 12,1% en 2017. Le coton recyclé ne pèse lui pour l'heure que 0,3 % de sa production.

Des alternatives au coton

Reste que s’il améliore son sourcing sur cette matière en particulier, à moyen terme la demande globale en coton, notamment responsable, risque de connaître quelques tensions du fait de la compétition entre les différentes productions sur les terres arables. « Le coton est le meilleur matériau dont nous disposons. C’est une denrée qui apporte de nombreux bénéfices mais qui engendre aussi beaucoup de défis. Nous travaillons avec d’autres matériaux car nous regardons le futur, les challenges pour la planète et la manière dont le paysage du sourcing va probablement évoluer. Nous regardons aussi comment faire évoluer d’autres matériaux responsables », détaille Anna Gedda.


Karl-Johan Persson et Stefan Persson entourés des lauréats 2019 du prix Global Change de la fondation H&M - H&m Foundation


Les lauréats du prix Global Change de la fondation H&M donnent en ce sens quelques pistes à explorer. Sur les deux dernières années, des productions de matières à base de chanvre, de bananes, d’ananas, d’orties ou encore de nouvelles membranes imperméables écologiques et biodégradables ont été mises en avant. De quoi permettre à H&M de basculer plus rapidement dans un modèle 100 % écoresponsable ?

« Aujourd’hui ces procédés ne s’appliquent qu’à petite échelle. Ils n’ont pas encore fait la preuve de leur pertinence à plus grande échelle. Ils doivent passer du laboratoire à l’étape suivante. L’un des challenges pour les créateurs d’innovations est qu’ils ne viennent pas de l’industrie de la mode et du textile. Ils doivent appréhender les besoins et la manière dont leur création peut être introduite dans l’industrie. Une fois qu’ils auront validé leur capacité à grande échelle, ils seront industrialisables par de plus gros fournisseurs », relève Anna Gedda.

La fibre d'orange, l'une des nouvelles matières mises en avant par H&M

Le groupe met en avant la possibilité d’avancer sur ce chemin avec une première collection réalisée à partir de fibre d’orange, matériau qui avait été récompensé lors du premier prix de la fondation H&M il y a quatre ans. Intégrés dans la collection Conscious, il s’agit d’un nombre de pièces limitées. « Nous avions l’intention de la lancer plus tôt, mais du fait d’aléas dans les récoltes, nous n’avons pas atteint nos besoins. On voit qu’il existe de nombreuses contraintes au déploiement de ces nouveaux matériaux innovants ».

Si le groupe explique investir dans une transition de son modèle, celui-ci reste forcément orienté vers la consommation de vêtements et l’apport régulier de nouveaux produits répondant aux dernières tendances. Face à l’augmentation d’une demande globale, H&M devra toujours produire plus de vêtements. Mais pour Arti Zeigham, responsable de l'IA au sein du groupe, l’analyse de données doit permettre d’optimiser cette production. « Nous ne l’appelons pas intelligence artificielle mais intelligence amplifiée, explique-t-il. Nous apportons un support supplémentaire aux personnes qui prennent des décisions. Vous aviez des équipes de designers qui sentaient par exemple qu'un produit était en fin de course, mais les ventes montraient qu’il était très demandé donc il fallait en produire. A présent, nous pouvons agréger plusieurs types de données. Par exemple, nous pouvons croiser les courbes entre la demande en magasins et l’intérêt des influenceurs pour un produit afin de connaître le moment clé où il cessera d'être pertinent sur le marché. C’est ce que nous appelons amplifier. Nous travaillons pour pouvoir planifier au mieux combien de pièces nous devons acheter pour un produit puis faire en sorte qu’il arrive au bon moment et au bon endroit. La plus grosse part de notre travail est d’optimiser la supply chain. Nous estimons que cela nous permettrait de réduire nos émissions de dioxyde de carbone de 10% », estime Arti Zeigham.


Les peaux d'orange permettent de fabriquer une fibre proche de l'aspect soie. - Site H&M


Alors pour répondre à ces besoins de production plus "green", plus que les matières issues de résidus alimentaires, le groupe se focalise sur le recyclable. Il clame viser une production à 100% circulaire et renouvelable à terme, sans fixer une échéance. Un enjeu fort alors que le groupe s’est vu accusé l’an passé d’avoir incinéré des dizaines de tonnes de vêtements en 2017. L’explication du groupe est qu’il existe de petites quantités de produits brûlés car ils sont impropres à la revente ou au recyclage. Le groupe assure qu’il ne s’agit que de 0,052% de ses produits qui n’ont pas répondu aux tests chimiques ou ont été affectés par une moisissure dans le transport. Par ailleurs, H&M détaille avoir 0,453% de ses produits neufs introduits dans une chaîne de réutilisation car ils ne correspondent pas aux critères de vente (tâchés, déformés…)

Pour ses autres produits, le groupe explique avoir recours aux promotions dans ses magasins et sur ses sites de commerce et a lancé l’an passé en Suède A-Found, une nouvelle enseigne de déstockage qui compte déjà quatre unités.

Vers un modèle plus circulaire

Le groupe regarde de plus en plus vers de nouveaux modèles. Avec son Laboraty, il a pris des participations dans une dizaine de jeunes pousses qui travaillent sur des matériaux, de nouveaux business models ou même des produits décalés. Son enseigne premium &Other Stories va prochainement tester la seconde main avec l’une de ces start-up, le site suédois Sellpy. « Les changements dans l’industrie sont tellement rapides que nous devons les appréhender, tester des choses rapidement et les implémenter de manière intelligente, explique Laura Coppen, qui supervise les activités du Laboratory.

L’un des axes forts sur lequel le groupe H&M semble fortement miser pour les prochaines années est donc le développement d’une industrie circulaire. En 2018, il a récolté quelque 20 000 tonnes de vêtements usagés dans ses magasins. Et vise 25 000 tonnes pour 2020. Reste que ces produits, repris par les partenaires en recyclage du groupe, sont pour beaucoup choisis pour la seconde main ou convertis, par exemple, en matériaux pour l’isolation. Le secteur est encore loin de pouvoir réutiliser ces tonnes de matières pour créer de nouvelles sources pour l’industrie textile.

« Certains produits sont bons pour la seconde main. D’autres peuvent être réutilisés pour faire des toiles pour les sièges de voiture, les canapés ou ce type d’application. C’est au niveau de la fibre qu’il y a beaucoup d’innovations possibles, estime Anna Gedda. Aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui sont réalisés autour du recyclage mécanique, qui a un impact sur la qualité, la longueur des fibres. Et nous voyons des opportunités dans le recyclage chimique qui permet de séparer les fibres pour ensuite les convertir en nouveaux matériaux. Nous voyons beaucoup d’avancées prometteuses ».

H&M investit notamment dans un projet baptisé Moral Fiber, qui vise à permettre le recyclage des matières en polyester, ou encore dans Colorfix, spécialisé dans la teinture écologique. A en croire les conclusions de la journée RSE organisée par la fondation H&M, qui accueillait quelques pointures mondiales comme le chantre du “craddle to craddle” (littéralement du berceau au berceau, soit le fait de tout réutiliser, ndlr) William McDonough, ces innovations ont besoin d’accélérer leur croissance pour passer à une échelle industrielle et apporter leur réponse afin d’aider le secteur à relever le défi climatique. D’aucuns des participants « ne veulent que l’Histoire se souvienne d’eux comme la dernière génération qui pouvait agir mais n’a rien fait ». Reste que leur message doit encore être entendu par les directeurs généraux et directeurs financiers du secteur.

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