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25 févr. 2019
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Anne-Marie Gaultier (Datakalab) : "Un produit émotionnel ne déclenche pas toujours de l’émotion"

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25 févr. 2019

Spécialiste de la mesure de l’émotion via les micro-expressions, la start-up tricolore Datakalab analyse l’impact émotionnel des campagnes publicitaires, au-delà de la simple attention. Des émotions essentielles pour ancrer les campagnes dans les esprits, mais que les marques de mode, luxe et cosmétiques peinent à déclencher. A l'occasion du Sommet du Luxe et de la Création, et alors que Datakalab se lance aujourd’hui dans la mesure de l’émotion sur les portails de vente et les contenus de marques (vidéos, réseaux sociaux), sa présidente, Anne-Marie Gaultier et Xavier Fischer, directeur produit, nous expliquent les subtilités liées à l'émergence émotionnelle.


Anne-Marie Gaultier - Datakalab


FashionNetwork : En quoi l’émotion est-elle importante dans le processus de mémoire ?

Anne-Marie Gaultier : Nous sommes bombardés par 15 000 stimuli commerciaux par jour, ce qui pousse le cerveau à se fermer, faisant que c’est l’inconscient qui capte 90 % de ces informations. Nous nous intéressons à l’émotion car c’est elle qui crée un ancrage mémoriel, bon comme mauvais. Or, neuf publicités sur dix, quand elles captent l’émotion, ne déclenchent pas une émergence émotionnelle. Il est donc important de s’interroger sur ce qui déclenche les émotions, tout comme de savoir si celle-ci est au service de la marque.

FNW : En étudiant la réaction des consommateurs face aux publicités, qu’avez-vous appris sur leurs émotions ?

AMG : Nous avons étudiés 70 campagnes, de tous secteurs. Le premier constat est que, quand nous mesurons un engagement émotionnel fort, les personnes déclarent avoir une perception positive de la campagne. En revanche, certains déclaratifs très positifs correspondent à des engagements émotionnels faibles. Cela veut dire que cette publicité profite de l’attachement à la marque, mais n’a pas généré d’impact positif nouveau pour la marque. Ce nouvel outil nous permet donc de prendre avec plus de distance les données déclaratives. Un autre enseignement, c’est que les annonces très conceptuelles, voire intellectuelles, procurent peu ou pas d’émotion. Ce qui est peu surprenant, car elles s’adressent au cerveau gauche (en charge notamment de l’analyse, ndlr) et le consommateur n’est pas toujours prêt à faire l’exercice mental de rentrer dans le visuel.

FNW : Les campagnes mode et beauté déclenchent-elles facilement de l’émotion ?

AMG : Sur la mode, on voit que beaucoup d’annonces avec d’un côté le produit, de l’autre le mannequin, ne génèrent pas forcement d’émotion. En revanche, certaines marques sortent du lot, car elles ont travaillé une histoire, par le visuel, qui permet d’engager plus fortement. Certaines marques de luxe permettent notamment de créer des visuels étonnants qui vont accrocher l’œil et créer de l’émotion positive. C’est très variable : certaines campagnes font carton plein, d’autres pas du tout. C’est vraiment toute l’écriture visuelle qui va faire la différence. Il faut une histoire, une sensation. Il faut déclencher l’attention, mais également de l’intérêt. Etudier les émotions, cela renforce l’importance de la créativité publicitaire. Car il ne suffit par de faire une campagne sur un produit émotionnel pour déclencher de l’émotion. Et, face à la multiplication des publicités, il devient plus difficile de sortir du lot.

FNW : Un support est-il plus prompt à générer de la mémorisation ?

AMG : Le support papier génère une bien meilleure mémorisation, car il active presque tous les sens. Par ailleurs, avec un magazine, il y a un repère spatial : on est capable de se souvenir où on a vu la publicité. Là où sur Internet, nous scrollons et sommes bombardés de stimuli. Le tout sans repère spatial, ce qui ne favorise pas la mémorisation. Le fait de tenir le magazine entre ses mains rentre également en compte. Et enfin, dans un magazine, c’est moi qui choisis de m’arrêter sur une pub, là où la chose est plus subie sur Internet.

FNW : Vous analysez depuis peu l’émotion ressentie sur les sites de vente. Qu’en avez-vous retiré ?

Xavier Fischer (directeur produit de Datakalab) : Le point de départ est que, dans un magasin physique, vous avez plusieurs leviers pour créer de l’émotion, que ce soit l’odeur, la luminosité ou encore la musique. On essaie donc de comprendre quels sont les moyens pour déclencher ces mêmes émotions sur les boutiques en ligne. Nous sommes par exemple en train de voir quelles couleurs, quels types de cuir, déclenchent le plus d’émotions. Et nous avons par exemple constaté que certains produits génèrent une forte émotion, mais ne génèrent que peu de ventes. Tout l’enjeu est donc de mettre en avant ces produits, car on sait qu’un visiteur en état émotionnel sera plus disposé à acheter.

FNW : Est-ce que ces premières analyses ont surpris certaines marques ?

XF : Ce qui a assez surpris, c’est que beaucoup de dirigeants pensaient que leur site entraîne un encéphalogramme au niveau émotionnel. Or, statistiquement, cela n’arrive pas. Nous demandons au visiteur s’il veut participer et, via sa webcam, nous voyons ses réactions subconscientes et de l’émotion. Tout le travail va donc être d’analyser les bons moments de la visite pour ensuite en décliner la réussite émotionnelle sur l’ensemble du parcours. Et on sait que, selon les pays, selon le sexe et selon les âges, les résultats seront différents. Les jeunes sont par exemple moins prompts aux émotions ou à l’attention qu’un public plus âgé. Beaucoup de choses vont être apprises, à terme, via cette approche.

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