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Au Cachemire, le déclin de l'industrie de la laine

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11 sept. 2013

VALLEE DE GRACE (Pakistan), 11 sept 2013 (AFP) - Des mains agiles ont valsé des siècles durant sur les métiers à tisser du Cachemire pour tresser des châles d'une laine légère et douce, exportée dans les boutiques chics d'Occident. Mais aujourd'hui l'industrie se meurt, confrontée aux imitations à rabais et à l'absence de relève.

Photo : AFP

Dans sa petite maison de bois nichée dans la verdoyante Vallée de Grâce, creusée dans les sillons de l'Himalaya, Hidayat Ullah s'échine sur un métier à tisser en bois, rudimentaire, son vieux père toussant, recroquevillé, sur un lit dans un coin.

"J'ai appris ce métier de mon père, mais mon fils ne veut pas prendre la relève. Il préfère travailler dans les champs ou comme ouvrier, cela paie mieux que le tissage", râle Hidayat Ullah, dans son village reculé de la portion du Cachemire administrée par le Pakistan.

Région revendiquée par l'Inde et le Pakistan, le Cachemire a donné son nom à une laine fine et douce, prélevée à même les chèvres broutant le pâturage sur des montagnes en gratte-ciel. Vendue à prix d'or par les importateurs en Europe, en Amérique, et en Asie, elle rapporte à peine 3.000 roupies - 30 dollars - au tisserand pour un châle exigeant jusqu'à deux semaines de tissage.

Pendant des siècles, les habitants de la Vallée de Grâce poussaient leurs chèvres l'été jusqu'au vert pâturage en hauteur, pour redescendre en septembre, tondre les bêtes et filer la laine. L'hiver, les mains se remettaient à tisser sur une nouvelle laine jusqu'au printemps, saison du commerce et des échanges.

Dans le village de Hidayat Ullah, il ne reste plus aujourd'hui qu'une dizaine de métiers à tisser, ici nommés +khadis+, là où à une époque une centaine battaient la mesure du temps et des vies. Et même la demande locale semble s'effondrer..

"Un châle tissé à la main coûte 10 000 roupies (100 dollars) mais vous pouvez avoir des imitations dans les bazars pour 2 000 ou 3 000 roupies (20 à 30 dollars)", se lamente Zeenat Bibi, 32 ans, dont la fille de dix ans se demande pourquoi elle "perd son temps avec ce travail étrange et désuet".

"Aujourd'hui, on trouve des vêtements de confection moderne à de meilleurs prix. Les gens délaissent donc l'artisanat traditionnel qui dépérit chaque jour davantage", déplore Fatima Yaqoob, professeur à l'Université des Arts et de la Culture de la portion pakistanaise du Cachemire.

Pour sauver l'activité, les autorités pakistanaises devraient moderniser ce secteur: aider les tisserands à troquer leurs métiers à tisser manuels pour des mécaniques, former la jeune main d'oeuvre, et établir une véritable stratégie de marketing, lance Taqdees Gillani, présidente de l'Académie de culture du Cachemire.

Certificat d'authenticité

Si l'Inde et le Pakistan se sont livré deux guerres pour le contrôle des plateaux du Cachemire, les tisserands de cette région coupée en deux vivent, eux, les mêmes tourments des deux côtés de la frontière.

Mais en Inde, les autorités ont déjà pris des mesures pour minimiser le déclin de la production et l'abandon par la jeune génération d'une tradition ancestrale.

L'Inde a obtenu pour ses châles en pashmina une "indication géographique", sceau garant de la provenance et de la qualité d'un produit, par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Et un laboratoire a été mis sur pied à Srinagar, capitale du Cachemire indien, pour vérifier l'authenticité de chacun des châles qui seront sous peu estampillés de l'hologramme "Pashmina du Cachemire".

Prélevé sur le cou de chèvres qui paissent à plus de 4 000 mètres d'altitude à des températures glaciales sous la gouverne de nomades de la région de Changthang, le pashmina est la quintessence des laines du Cachemire avec ses fibres à la fois hyper-légères, d'une douceur extrême et résistantes.

Les châles en pashmina, aux mille couleurs, se vendent des centaines, voire des milliers de dollars, dans les boutiques de luxe. Mais la production de cette laine rare ne suffit pas à répondre à la demande et les imitations inondent les marchés de la planète.

D'où l'importance d'une "indication géographique" pour tenter de restituer au pashmina son authenticité, estime M.S. Farooqui, directeur de l'Institut pour le développement de l'artisanat à Srinagar.

Au Cachemire indien, comme au Pakistan, la jeune génération abandonne cette tradition ancestrale, les éleveurs nomades préférant ici des postes dans l'administration publique ou le bâtiment.

Quelque 25 000 chèvres sont mortes l'hiver dernier à Changthang car leur fourrage a gelé sous une épaisse couche de neige et que les routes étaient bloquées, preuve aussi d'un mode de vie difficile pour les nomades.

Or la science pourrait jouer un rôle afin de revigorer cette industrie. Des chercheurs de l'Université SKUAST au Cachemire indien ont cloné l'an dernier une chèvre pashmina, affectueusement baptisée Noori.

L'idée n'est pas d'augmenter le nombre de chèvres en alpage, mais celui des poils récoltés sur chaque bête, car "la laine produite par ces chèvres est une réponse biologique aux froids extrêmes en haute altitude", explique le Dr. Reyaz Shah, à la tête de ce projet. Avec le même nombre de chèvres, les chercheurs espèrent ainsi augmenter un jour le volume de laine tondue.

D'ici là, l'industrie devra apprendre aux acheteurs du monde entier à faire la différence entre une fibre synthétique et le pashmina original.

"Il y a des vendeurs à la sauvette qui offrent des châles en faux pashmina, mais vendent la copie au prix de l'original... Les consommateurs ne savent pas s'ils achètent la copie ou l'original", se plaint Nisar Ahmed, un tisserand de Srinagar.Par Sajjad QAYYUM

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