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Paul Kaplan
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23 févr. 2020
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Chez Bottega Veneta, la modernité passe par le classicisme, sous l'oeil de Palladio

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Paul Kaplan
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23 févr. 2020

Bottega Veneta a livré samedi soir une collection classique avec juste ce qu'il faut d'impertinence. En trois saisons seulement, son directeur artistique, Daniel Lee, s'est imposé comme un acteur majeur de la mode milanaise contemporaine. Une démonstration esthétique énoncée dans un merveilleux décor, assemblage composite numérique de grandes villas classiques, toutes dessinées par le plus grand architecte de l'histoire, Andrea Palladio. À cela près que les statues virtuelles de guerriers et de déesses antiques à demi-vêtus s'animaient progressivement pendant le défilé.


Bottega Veneta - Automne-Hiver 2020 - Prêt-à-porter féminin - Milan - © PixelFormula


À vrai dire, le mouvement était le thème central de cette collection impeccable, où de nombreuses tenues garnies de franges s'agitaient en suivant la démarche des mannequins — depuis ce superbe trio de manteaux en peau de mouton, dont l'ourlet se prolongeait en dizaines de franges, jusqu'à ces robes fluides à manches chauve-souris recouvertes de sequins acidulés.

Le défilé étant mixte, Daniel Lee a ouvert le bal avec plusieurs mannequins masculins, sanglés dans de longs manteaux à très larges revers, probablement coupés dans un cachemire double-face hors de prix. Une harmonie de formes qui aurait certainement plu à Vitruve, l'architecte romain : chaque détail des vêtements semblait choisi avec soin, du premier bouton doré jusqu'aux pattes de serrage dans le dos. Les pantalons étaient légèrement évasés aux chevilles, de même que les poignets : tout respirait l'élégance mais aussi quelque chose d'un peu déluré — ce garçon-là ne portait-il pas un corset sous son pantalon ?


Bottega Veneta - Automne-Hiver 2020 - Prêt-à-porter féminin - Milan - © PixelFormula


Les filles Bottega Veneta s'habillent de manière assez similaire pour la journée, à l'instar de ce costume long de femme d'affaires porté par Kaia Gerber. Le soir, elles se glissent dans de longues robes pailletées sans couture ou dans de petites robes drapées, aux ourlets bordés de finitions métalliques, portées avec un trench-coat en toile ciré, esprit Barbour. Une allure charmante et subversive à la fois.
 
Le défilé avait lieu sur l'immense piste de patinage du Palazzo del Ghiaccio ; il était accompagné par un magnifique duo du violoncelliste Patrick Belaga et du violoniste Kai Kight. Et toute la musique électronique entendue ces dernières semaines à New York, Londres et Milan semblait soudain dépassée : chez Bottega Veneta, l'accompagnement sonore était d'une telle qualité...

"Je voulais trouver ma place entre une garde-robe ultra-formelle et l'esprit de la rue, qui dicte l'esthétique des défilés d'aujourd'hui. Créer des vêtements qui permettent de se sentir élégant et bien habillé, tout en restant à l'aise. Chez Bottega Veneta, il y a une forme de retenue dans tout ce que nous faisons. Mais cette fois-ci, on a essayé de vraiment lâcher prise. Un mélange de liberté et de rigueur", nous a confié Daniel Lee, dans ses coulisses ultra-exiguës et sans air — on ne reviendra pas sur la bande d'imposants vigiles qui mettaient la pression sur les journalistes. On aurait dit des figurants échappés d'un film de Guy Ritchie. D'ailleurs, à part Sigourney Weaver, on ne voit pas trop quelle célébrité ils protégeaient aussi férocement.


Bottega Veneta - Automne-Hiver 2020 - Prêt-à-porter féminin - Milan - © PixelFormula

 
Évidemment, Daniel Lee a su redonner ses lettres de noblesse au célèbre cuir tressé "intreccio" de Bottega Veneta, notamment auprès des journalistes. Ce mois-ci, impossible de se rendre à un défilé sans apercevoir au moins une paire de bottes à talons intreccio aux pieds d'une acheteuse. Sa nouvelle proposition, plus douce, rembourrée, de la fameuse technique de tressage — déclinée sur des chaussures, des pochettes, des cabas ou de gigantesques sacs weekend  —devrait rencontrer le même succès, on n'en doute pas.

"Pour trouver la forme de ces sacs, j'ai fouillé dans les archives et dans le patrimoine de Bottega Veneta. Le tissage du cuir est une formidable source d'inspiration. Pour moi, c'était le moment de célébrer l'intreccio le plus traditionnel, d'explorer la raison de son succès", raconte Daniel Lee.

Quand on lui demande pourquoi il a voulu recréer en vidéo une villa de style classique à l'intérieur de cette gigantesque patinoire (1800 mètres carrés) des années 1920, le créateur anglais répond : "Je me suis demandé : à quoi bon faire de la mode, à quoi bon être un artiste, et j'ai eu l'idée d'un décor très théâtral. Ce que je voulais montrer, c'est le pouvoir de transformation de la mode : d'un endroit assez anonyme à un lieu sublime. Et puis j'avais envie de construire un décor entièrement recyclable, qui ne laisse aucune trace physique. Je me suis donc servi exclusivement d'outils numériques".

Palladio et Vitruve auraient-ils approuvé ?

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