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14 juin 2022
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Christopher Raeburn (Timberland) : "La circularité, c'est pragmatique face aux ressources qui s'épuisent"

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14 juin 2022

Le créatif, qui apporte chez Timberland son approche d'une mode responsable et embrassant les principes de circularité, présente sa dernière collection EarthkeepersXRaeburn sur le salon florentin Pitti Uomo, qui se tient du 14 au 17 juin. Cette collection permet au designer, qui œuvre pour le label depuis cinq ans, et à la marque du groupe VF de mettre en exergue les avancées de cette dernière  en matière de durabilité. Le Britannique a partagé avec FashionNetwork.com son approche et sa vision des enjeux environnementaux.

La marque s'est en effet fixé plusieurs objectifs. A l'horizon 2030, elle a annoncé vouloir avoir 100% des ses produits dessinés dans une approche de circularité. Elle vise aussi que la totalité de ses matières proviennent à cette date de l'agriculture régénérative. L'expertise de l'approche circulaire de Christopher Raeburn se ressent dans les projets portés par Timberland. Le designer développait déjà cette approche pour sa marque lancée à la sortie de ses études en 2006.


Christopher Raeburn - Timberland


FashionNetwork.com : Votre collaboration avec Timberland se prolonge avec la nouvelle proposition EarthkeepersXRaeburn que vous présentez au Pitti Uomo. Mais vos fonctions évoluent. En quoi consiste votre nouveau rôle?

Christopher Raeburn :
Mon rôle est maintenant collaborateur « at large ». Cela fait maintenant près cinq ans que je travaille avec Timberland. Notre histoire commune a débuté par une collection de vêtements à l’automne 2017. C’était une superbe opportunité de travailler avec l’équipe textile qui est basée en Europe, mais aussi de voyager à Stratham, au nord de Boston, aux Etats-Unis, au siège global de la marque et où se situe le développement et le design de la chaussure. J’ai découvert que les équipes étaient très impliquées sur le sujet de la durabilité. En octobre 2018, j’ai pris le rôle de directeur créatif, ce qui est un véritable pic de ma carrière. Cette opportunité m’a permis de travailler en profondeur avec les équipes design aux USA et à Londres. Dans ce nouveau rôle, je vais continuer à travailler sur cette capsule avec cette idée d’être un défricheur pour Timberland. Par exemple, nous pouvons réaliser des produits à base de canne à sucre, de Tencel et de matériaux recyclés. Je travaille aussi sur la mise en place d’autres partenariats... et il y a de beaux projets encore top-secret qui se mettent en place.

FNW : Avec la marque qui porte votre nom, vous explorez les frontières d’une mode plus respectueuse de l’environnement. Vous ne craigniez pas d’être la caution durable d’une marque internationale comme Timberland?

CR :
On pourrait croire que c’est difficile de changer une si importante entreprise. En fait, j’ai ressenti le contraire. De très nombreuses personnes chez Timberland avaient déjà des idées et la volonté de faire des produits de très bonne qualité. On peut vite oublier que le logo de la marque est un arbre. Je crois que, dès ses débuts, la marque était engagée dans un produit de qualité. J’ai été diplômé en 2006. Et en 2007, Timberland lançait sa première Earthkeepers: c’était une botte dessinée et produite de la manière la plus responsable à l’époque. En tant que jeune designer sensible à ces sujets, cela m’avait marqué qu’une entreprise engage une réflexion dans ce domaine. C’était il y a quinze ans. Ce qui était intéressant pendant ces plus de trois ans à travailler en tant que directeur artistique était de pouvoir travailler sur le produit, ce qui m’anime toujours, mais aussi sur la stratégie durable. Et vraiment penser à l’avenir de Timberland et où en sera la marque en 2030.


Collection EarthkeepersXRaeburn - DR


FNW : Après cinq années de collaboration, quelle est la différence entre développer sa marque et mener des projets dans une entreprise de la taille de TImberland?

CR : 
J’ai pu apporter certains de mes process à Timberland autour de la durabilité et la circularité du produit. Mais je reviens à l’équipe. C’est impressionnant de pouvoir s’appuyer sur ces spécialistes. Il y a beaucoup de ressources dont je ne disposais pas dans ma propre société car le format était petit. Chez Timberland, les spécialistes des matériaux, les spécialistes de la couleur, les personnes en charge de l’innovation ou de la stratégie ont rendu possible le fait de donner vie à des idées folles pour une grande marque. Mais il faut apprendre à coordonner.
 
FNW : C’est-à-dire?

CR :
Je me suis rendu compte assez rapidement que quand vous travaillez pour une marque qui a plus de 2 000 magasins dans le monde et une équipe énorme, vous avez énormément de niveaux à aligner. Ce n’est pas juste travailler pour avoir le meilleur produit. Votre communication et la manière dont vous présentez vos projets doivent être en cohérence. Je pense que j’ai dû grandir assez vite avec la marque parce que j’ai réalisé que mon rôle était de faire avancer la stratégie responsable mais surtout de mobiliser l’équipe qui devait travailler dessus. Mais en réalité, la plus grosse différence, c’est l’impact de vos projets. Avec Timberland, l’impact est immense. En tant que défricheur, cela donne l’opportunité d’engager un changement systémique dans l’industrie, par exemple, en s’engageant dans l’agriculture régénérative ou en utilisant un matériau à base de canne à sucre plutôt que du synthétique.

FNW : Au niveau des matériaux responsables, voyez-vous encore des freins à leur utilisation?

CR :
Si vous me parliez de problèmes d’accessibilité ou de performances il y a dix ans, peut-être. Mais aujourd’hui nous n’avons plus ces défis. Je ne crois pas que les matériaux soient encore un frein. Dans les cinq dernières années, les collaborations entre spécialistes des matériaux et de l’innovation ont fait la différence dans les matières responsables. J’ai la chance de travailler avec des spécialistes chez Timberland qui sont en permanence en train d’innover et de tester pour s’assurer de la qualité de ce que nous proposons.
 

DR


FNW : En termes d’innovations, vous explorez différentes pistes, de la recyclabilité des produits aux projets ouverts… pouvez-vous nous les présenter?
 
CR :
Il y a notamment le projet innovant "Construct 10061" qui est une plateforme ouverte aux créatifs et techniciens, et elle est très dynamique. C’est une manière différente d’imaginer le futur de la Yellow Boot (modèle de botte emblématique de Timberland, ndlr) que ce soit du point de vue esthétique ou des matériaux. De manière plus large, nous avons besoin de plus de collaborations. Nous avons pu mener des projets très ouverts avec Tommy Hilfiger. Il existe encore beaucoup de secrets d’entreprises dans cette industrie. Cela ne nous aide pas à avancer. Travailler ensemble à grande échelle serait une véritable opportunité et un bienfait pour la planète.

J’ai aussi été impliqué dans le projet Timberloop depuis ses débuts. Il s’agit de développer la récupération des anciens produits. L’avantage, c’est que Timberland a depuis des années des programmes de récupération de chaussures pour faire des dons aux associations. Mais nous n’en sommes qu’au début de l’histoire sur ces projets.

FNW : Votre expertise porte aussi sur le fait de donner une seconde vie aux produits, aux matières. Quelle forme cela prend-il chez Timberland ?

CR :
Je crois que mon rôle chez Timberland en tant que designer n’est pas juste de réfléchir au design mais à l’ensemble de la vie du produit. Nous avons déjà imaginé des produits qui sont plus faciles à déconstruire, en particulier dans la chaussure. C’est une part importante du projet vers un futur plus vert. C’est aussi pragmatique, nous voyons que les prix des matières augmentent et que les ressources s’épuisent.


La marque développe la canne à sucre, le caoutchouc recyclé et d'autres matériaux naturels dans la production de ses modèles de chaussures - DR


FNW : Votre métier de designer et votre approche ont dû évoluer depuis vos débuts dans le métier, avec votre propre marque?
 
CR :
J’ai commencé en 2006, et j'aime à penser que mon approche a évolué avec les innovations. En tant que designer, vous résolvez les problèmes, et si les problèmes et les challenges évoluent, votre rôle est d’évoluer avec eux. La circularité était le sujet de base autour de mon entreprise et c’est ce que j’ai apporté chez Timberland.

Mais après nous avons réfléchi à la performance des matériaux, au design pour le désassemblage, nous avons pensé à la recyclabilité. Ma perception c’est que c’est un sujet très complexe. Il n’existe pas une réponse simple. Il faut une multitude de micro-projets qui doivent se croiser pour au final changer les choses.

FNW : Quel est le prochain défi d’ampleur?

CR :
Une entreprise de la taille de Timberland, malgré ses efforts, a toujours un impact. Nous pouvons toujours améliorer les pratiques responsables. Nous avons une opportunité d’améliorer nos produits, en particulier en ce qui concerne les matières naturelles, et notamment le cuir. Il faut saisir les opportunités de réduire le carbone dégagé dans l’atmosphère. Le programme EarthkeepersXRaeburn me permet d’explorer ces sujets.

Ensuite, je crois beaucoup dans l’agriculture régénérative. Nous pouvons faire évoluer les pratiques agricoles vers quelques chose de moins impactant. Je crois que ce n’est pas le plus visible mais que cela pourrait faire la plus grande différence.
 
 
 
 
 

 

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