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Paul Kaplan
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30 avr. 2019
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Défilé Croisière Dior - Anne Grosfilley, anthropologue : "Le wax est un tissu mondialisé"

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Paul Kaplan
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30 avr. 2019

L’un des éléments les plus mémorables de la collection croisière de Dior, présentée lundi soir à Marrakech, est peut-être l’utilisation innovante de tissus wax par la directrice artistique de la vénérable maison parisienne, Maria Grazia Chiuri — qui a eu cette idée après avoir lu Wax & Co : anthologie des tissus imprimés d'Afrique, l’ouvrage passionnant d’Anne Grosfilley.



Docteure en anthropologie, cette dernière est spécialiste des textiles et de la mode en Afrique, et une commissaire d’expositions reconnue. Elle a publié notamment African Wax Print Textiles (Edisud, 2004), Textiles d’Afrique, entre tradition et modernité (Point de vues, 2006), Abécédaire du wax (Grandir, 2015), et Wax, 500 tissus (La Martinière, 2019), dont la parution est prévue pour bientôt.

Grâce à Anne Grosfilley, Maria Grazia Chiuri a pu entrer en contact avec d'authentiques imprimeurs de wax en Afrique. Ensemble, elles se sont rendues à Abidjan, en Côte d'Ivoire, où la chercheure française a présenté la créatrice italienne à Jean-Louis Menudier et à Uniwax, la seule entreprise qui imprime à la cire selon les méthodes traditionnelles et avec du coton africain local.  

Les recherches d’Anne Grosfilley mettent en lumière le discours symbolique porté par les motifs des tissus wax. Grâce à elle, Dior a pu donner une nouvelle dimension à ses tissus classiques, comme la toile de Jouy. FashionNetwork.com l’a rencontrée pour discuter de ce partenariat inédit entre créateurs africains et européens.

FashionNetwork.com : D’où vient votre obsession pour les motifs imprimés africains ?

Anne Grosfilley : Personnellement, le point de départ, c’est quand j’ai réalisé que le wax est un tissu mondialisé, même s’il a une origine précise, qui remonte à la fin du 19e siècle et implique déjà l'Asie, l'Europe et l'Afrique. C’est le point de départ idéal pour un anthropologue… Le wax permet d’étudier la connexion entre les cultures, la façon dont celles-ci se confrontent et s’associent pour donner vie à de nouveaux éléments, à de nouveaux discours. D’un point de vue historique, le wax a évolué à partir des techniques indonésiennes du batik. La méthode a été importée en Europe et industrialisée par les marchands néerlandais, avant d'être ensuite développée en Afrique, où elle est devenue un élément de la culture locale.


Croisière 2020 Christian Dior


FNW : Dans votre livre Wax & Co, on découvre une grande variété d’imprimés...

AG : Oui, car ces motifs font écho à une grande variété de cultures. On trouve des motifs qui rappellent le tartan, l'alphabet, les animaux sauvages, l'indigo... À l'origine, les premiers tissus wax étaient tissés sur coton en Ouganda et en Afrique centrale, où ils utilisaient même du raphia. Ce sont les missionnaires qui ont apporté les premières machines à coudre, au milieu du 19e siècle. Côté coupes, l'idée de base est simple : on trouve souvent un haut et une jupe portefeuille pour couvrir les jambes et les chevilles. Le style musulman s'apparente plus à une tunique. Au Ghana, c'est plutôt comme une toge romaine !

FNW : Qu’est-ce qui fait la particularité des motifs wax ?

AG : C’est peut-être leur histoire si unique, vous ne trouvez pas ? Nés en Indonésie, modernisés aux Pays-Bas avant de s’épanouir en Afrique, au Ghana et en Côte d'Ivoire ?

FNW : Comment a réagi Uniwax à l’idée de collaborer avec Dior ?

AG : Je pense qu'ils étaient extrêmement flattés et reconnaissants de bénéficier du prestige d'une maison comme Dior et de mettre un coup de projecteur sur leurs compétences textiles et sur la création africaine. C'est un dialogue entre l'héritage de Dior et les créations d’Uniwax. Une initiation à la culture du wax avec beaucoup de liberté pour combiner les deux univers. Dior n'a pas seulement fourni du travail à Uniwax, mais lui a également fourni une occasion de présenter ses talents. D’autant plus qu’il s’agit plutôt d’un ensemble varié de collaborations et pas seulement dans le domaine de la création textile : le créateur Pathé’O a notamment pu collaborer avec la vénérable maison parisienne. Tous les talents de l'Afrique et de ses artisans sont à l'honneur dans la collection. Le fait que Dior n'ait pas peur de travailler avec l'Afrique, c’est un message très fort. Avant, l'Afrique n'était qu'une source d'inspiration. Ce qui est unique chez Maria Grazia Chiuri, c'est qu'elle n'essaie pas de faire une collection à l'allure vaguement africaine, mais de créer une collection qui célèbre le style Dior en s’entourant de talents africains. C'est vraiment incroyable. De Marrakech aux motifs d'Afrique de l'Ouest, en passant par la technique du perlage. Avec des références à son rôle dans la culture nigériane, chez les Massaï en Tanzanie et les Zoulous en Afrique du Sud, c’est l'ensemble du continent africain qui est célébré dans la collection ! Et l'Afrique toute entière est très fière de ce partenariat avec Dior.

FNW : Comment s’est passée votre rencontre ?

AG : Nous nous sommes rencontrées grâce à mon livre. J'en ai écrit d'autres, mais Wax & Co a été traduit en italien. Maria Grazia a également apprécié le fait qu'il ait été rédigé par une femme et nous nous sommes rencontrées pour en parler.

FNW : Qu'est-ce qui vous a le plus plu dans votre travail avec Maria Grazia Chiuri ?

AG : C'est une femme étonnante ; elle lit beaucoup, écoute beaucoup et accorde beaucoup d’attention à un grand nombre d’opinions différentes, c'est rare d'être aussi attentif. C'est une personne très sensible et créative. Grâce à son talent et aux ressources de Dior, elle n'a pas hésité une seule seconde à faire quelque chose de complètement différent !

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