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21 oct. 2022
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Derrière le vocable "grande taille", quel prêt-à-porter pour les femmes grandes ?

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21 oct. 2022

Si les Françaises ont grandi de 4 centimètres depuis les années 1970, en moyenne elles mesurent 1,64m (selon les données de Inserm en 2017). Pour les femmes très grandes, il peut être difficile de trouver des vêtements adaptés à leur taille (comme un pantalon ne s'arrêtant à mi-mollet) et qui ne soit pas issus de la fast fashion, l'alliée controversée des "grandes tailles". S'habiller avec les vêtements "standardisés" commercialisés dans le marché du prêt-à-porter féminin s'accompagne de nombreuses contraintes pour les femmes mesurant plus de 1,75m. Des robes de mariage aux jeans, en passant par les manteaux, des créatrices tricolores veulent pallier ce manque de représentativité et habiller des femmes très grandes, développant ainsi une offre encore embryonnaire.


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Dans le sillage de l'e-shop britannique Asos, l'un des premiers retailers à proposer une offre "plus size" et "tall", avec des pièces aux découpes plus amples et plus longues, certaines maques s'intéressent davantage à la diversité des morphologies. A l'instar de l'américain Levi's, qui décline désormais ses modèles les plus populaires pour les femmes mesurant plus de 1,76m ou de l'espagnol Mango, qui a intégré sa ligne Violeta dans ses collections. Preuve que la notion d'inclusivité trace progressivement son chemin dans l'industrie de la mode.

Ce vocable - volontairement flou - recèle son lot d'ambiguïté car il ne correspond pas aux femmes qui ont stricto sensu une grande taille. "Le problème avec le lexique 'grande taille' c'est ce que la mode a voulu mettre dessus car une femme grande n'est pas forcément ronde, détaille Saveria Mendella, doctorante en anthropo-linguistique à l'EHESS. Comme au niveau sémantique on mélange les deux notions, cela entraine une invisibilisation des femmes qui sont juste très grandes." En témoignent les résultats de recherche internet qui redirigent vers des marques allant des tailles 46 à 64.

"La problématique des tailles est réelle dans l'univers du prêt-à-porter, car dans le luxe, le sur-mesure ou la haute couture", le modèle confectionné aura des dimensions uniques et personnalisées, poursuit la doctorante férue des langages de la mode. S'il est délicat pour la mode d'embrasser toute la diversité des corps, pour Saveria Mendella, "ce choix lexical très maladroit relève presque du cynisme, car la 'mode-image' est calquée sur le physique des mannequins, filiforme et grand, mais ce n'est pas ce qu'on retrouve au quotidien dans le marché de la consommation".

Se détacher des propositions de la fast fashion



Les propositions "grande taille" adaptées morphologiquement et plus abordables que le sur-mesure restent cantonnées à l'univers de la fast-fashion. Face à cette offre controversée pour son système de production, il peut être compliqué pour ces consommatrices de trouver un vestiaire durable et à leur taille. 

"Le prêt-à-porter français s'intéresse encore trop peu aux femmes très grandes, abonde Angélina Monzili. On est souvent obligées de se tourner vers des coupes amples pas forcément modernes ou la mode homme." Cette entrepreneure de 24 ans, qui mesure 1,76m, a créé sa marque Fereeg, en août 2021. Positionnée sur "une niche" elle propose des basiques écoresponsables fabriqués en Roumanie ou au Maghreb. "Évidemment, comme il faut plus de tissu et des patrons adaptés, la fabrication coûte plus cher et cela se ressent sur le prix final", concède-t-elle. Son produit phare, la combinaison verte Jelila, en lyocell, est commercialisée au prix de 190 euros, et le manteau Willow, mêlant laine et popeline recyclée, vaut quant à lui 340 euros. 

Comme elle, quelques créatrices confrontées à ce problème de taille souhaitent habiller ce public aux mensurations trop souvent oubliées. A l'image de l'ancienne mannequin Inès de la Fressange (qui mesure 1,81m) et sa marque éponyme où la longueur de jambe avoisine les 85 centimètres, ou de la griffe parisienne Mapoésie qui ne propose qu'une taille unique (coupée grand) pour ses pantalons. Côté cérémonie, Maison Lemoine et ses robes pour les mariées comme les invités mesurent environ 160 centimètres depuis l'épaule.

Face à la proposition fournie des spécialistes masculins de la "grande taille" comme Size-Factory, qui habille l'homme jusqu'à 2m10, le peu d'offres côté féminin pose la question d'un marché de l'habillement pour les femmes plus grandes que la moyenne. Pour Angélina Monzili, la créatrice de Fereeg, ce marché existe réellement: "dans les messages que je reçois comme dans les pop-up où je présente ma marque, je vois énormément de profils très différents comme des mamans accompagnées de leurs filles qui recherchent une offre grande qui leur correspond à toutes les deux". Si ces marques sont encore rares en France, pour Saveria Mendella c'est également parce que "la mode femme est beaucoup plus normée, codifiée et standardisée au sens de Michel Foucault, alors que la mode homme est héritée d'un vestiaire très pratique", plus réaliste et représentatif de la diversité des morphologies. 

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