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18 nov. 2020
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Enseignes: les raisons d’une "impérative" réouverture des magasins le 27 novembre

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18 nov. 2020

Alors que beaucoup voient dans la fermeture des commerces dits non essentiels un tapis rouge déroulé aux géants du e-commerce à l'approche des fêtes de Noël, Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, et Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, ont plaidé ce 18 novembre - lors d’une conférence de presse commune - pour une réouverture "impérative" des magasins le vendredi 27 novembre, date du Black Friday. Un enjeu vital pour la survie des enseignes, qui sont très fragilisées en cette fin d’année cruciale pour leurs ventes, y compris celles qui ne connaissaient aucune difficulté avant la crise.


Tout le commerce spécialisé attend la réouverture des points de vente - Shutterstock


"Notre but est de tirer la sonnette d’alarme auprès du gouvernent sur le sort des PME et ETI du commerce, qui sont les grands oubliés des débats de ces derniers jours, introduit Yohann Petiot. On assimile beaucoup les magasins de proximité fermés depuis le 30 octobre aux indépendants, alors que la réalité du commerce est aussi constituée de PME et de grandes enseignes."

Le commerce spécialisé (mode, beauté, sport, maison, services…) concerne en effet 1,2 million de salariés en France et pèse 290 milliards d’euros de ventes annuelles. Soit 65% des effectifs et 63% du chiffre d’affaires total du commerce en France. "Un risque social fort se joue avec la fermeture des magasins, poursuit Yohann Petiot. 50.000 magasins non alimentaires sont aujourd’hui fermés, et 290.000 personnes sont en chômage partiel".

Une menace sérieuse sur les emplois



Du 1er au 15 novembre, les enseignes qui pouvaient rester ouvertes (dans l'alimentaire spécialisé par exemple) n’ont réalisé que 54% de leur chiffre d’affaires habituel, le secteur de la maison n’a pu sauver que 21% de ses ventes, un taux qui tombe à 11% pour le segment de la beauté, et n’atteint que 2% pour l’équipement de la personne. L’activité e-commerce de ces acteurs, même en croissance de 65% en octobre, ne permettrait de sauver que 4 points du chiffre d’affaires total. Une compensation minime.


L'évolution de l'activité de l'année 2020 selon les secteurs - Procos


Pour les représentants de ces enseignes, rouvrir le 27 novembre n’est pas une option, mais une nécessité qui doit aussi être accompagnée d’un élargissement des mesures de soutien annoncées pour le secteur.

"Nous attendons des décisions claires, annoncées au plus tard mercredi prochain par Emmanuel Macron, pour pouvoir s’organiser et rouvrir deux jours plus tard. On s’oriente sinon vers un scénario catastrophe: si la réouverture n’est pas possible avant la fin d’année, ce sont 100.000 à 200.000 emplois qui sont directement menacés, et 70.000 points de vente concernés par un risque de fermeture définitive", avertit le directeur général de l’Alliance du commerce, qui précise que 5.000 emplois ont déjà été perdus cette année dans le secteur textile-habillement.

Un week-end incontournable pour le commerce



Pourquoi cette date ? "Les mois de novembre et décembre pèsent beaucoup plus lourd que mars-avril pour les commerçants, et représentent entre 25 et 40% de leur activité annuelle. Décembre pèse entre 2 et 4 fois plus que le mois de novembre, rappelle Emmanuel Le Roch. Le week-end du 27 novembre permet de réaliser 18% de chiffre d’affaires supplémentaire sur la période des fêtes, il s’agit du 2e week-end le plus important de la période de fin d’année".

Jacky Rihouet, le patron d’Intersport France (coopérative réunissant 600 magasins et 11.000 emplois), renchérit: "Le Black Friday, c’est 30% de nos ventes de novembre, et cette période captait même les années précédentes une partie du chiffre d’affaires de décembre, qui s’impose lui comme un mois où on réalise de la marge. Il ne faut pas manquer ce rendez-vous, sinon c’est un boulevard pour les plateformes digitales internationales". Le click&collect et l'e-commerce permettent à l’enseigne de sport de ne conserver que 17 à 20% de ses ventes habituelles.


Le poids du dernier week-end de novembre (18%) dans le cumul des ventes de fin novembre à fin décembre. Source : Retail Int. - Procos/Alliance du Commerce

Rouvrir fin novembre s’impose aussi selon eux comme une meilleure option sanitaire, permettant de répartir les flux sur un week-end de plus, pour éviter de concentrer les déplacements des Français sur une période plus limitée. Ils souhaitent également pouvoir ouvrir tous les dimanches de décembre et janvier et étendre les horaires d'ouverture jusqu’à 22h. Les mesures sanitaires en magasin doivent être précisées ce vendredi. 

Est toutefois écartée l’option de la prise de rendez-vous comme mesure obligatoire à la réouverture. Car, selon leurs calculs, cela ne permettrait de générer au maximum que 30% du chiffre d’affaires d’un magasin.

La trésorerie, nef de la guerre



L’enjeu de la trésorerie, déjà très amputée en novembre, devient vitale en décembre: "Si les commerçants n’arrivent pas rapidement à vendre leurs produits, ils seront dans l’incapacité de financer leurs stocks", pointe le délégué général de Procos. Un risque important de cessation de paiement en janvier est à craindre pour 50% des enseignes du panel Procos si leurs boutiques restent fermées en décembre.

Même si les commerces sont autorisés à ouvrir le mois prochain, Emmanuel Le Roch avertit que décembre ne pourra de toute façon pas être un excellent mois. "L’enjeu, c’est faire prendre en compte au gouvernement que les grandes entreprises sont également en situation de risque majeur. Et la réponse, ce sera la fermeture de magasins, ce qui peut mener à un fort risque de paupérisation territoriale et de vacance commerciale".

Pour la survie des enseignes, les deux fédérations souhaitent obtenir auprès de l’Etat des solutions de financement à long terme, au-delà des PGE (qui ont pour certains été totalement consommés), et qu’on puisse restituer aux entreprises de manière anticipée les crédits d’impôt remboursables (CICE) pour leur donner un peu d’air dans leur trésorerie.

"Un désespoir monumental"



"A fin octobre, notre activité enregistrait une baisse de 20%, nous étions déjà à genoux, même si l’on commençait à se relever", constate Philippe Georges, le PDG de Beauty Success, un groupe familial qui fédère 330 entreprises et 650 lieux de commerce en France (parfumerie, salons de beauté, centre de minceur), soit au total 2.600 salariés (85% en chômage partiel). "Plus vite on pourra travailler, mieux on pourra faire face. Cela impacte fortement nos fournisseurs (85% de produits manufacturés en France), c’est un effet domino dont peu se rendent compte, mais vu du terrain, c’est dramatique". Il pointe aussi les difficultés à venir pour rembourser les emprunts du passé.


Parfumerie-institut Beauty Success - DR


"Cette période et ces difficultés vont créer un désespoir monumental, poursuit Philippe Georges avec émotion. On se fait beaucoup de souci, en ayant l’impression d’être jugés et déclarés coupables, avec un sentiment dans le commerce de profonde injustice, sachant qu’on a respecté à la lettre ce que la loi nous a demandé de faire et qu’aucun cluster n’a été déclaré dans les magasins".

Des stocks sur les bras



Les fédérations demandent également au gouvernement de se pencher sur le problème des stocks, très lourds en période de fêtes, en mettant en place un dispositif de subvention des pertes d’exploitations et/ou un dispositif de garantie bancaire. "Un premier pas a été franchi avec l’élargissement aux ETI des mesures sur les loyers commerciaux, et c’est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant, argumente Yohann Petiot. En cette période de fin d’année, le poste du loyer pèse beaucoup moins sur les finances des entreprises car les ventes sont d’ordinaire très fortes sur cette période."


Jacky Rihouet - Intersport


"Nous achetons nos collections 7 à 8 mois à l’avance, c’est une prise de risque très importante, décrit Jacky Rihouet d'Intersport. Aujourd’hui les produits non vendus en novembre représentent une augmentation de 20% de nos stocks. Nous allons écouler ces surstocks considérables avec des opérations promotionnelles, les soldes, mais nous aurons quand même un niveau de stocks résiduels autour de 20 à 30%. Les provisions pour dépréciation seront probablement très importantes".

Sur le sujet des soldes d’hiver, reporter les dates ne serait pas une solution pour les enseignes. "Les entreprises ne pourront pas attendre pour reconstituer leur trésorerie, il faut les maintenir pour écouler les stocks rapidement", estime Yohann Petiot, qui ajoute que, si une 3e ou 4e vague épidémique s’annonce l’an prochain, "nous n’imaginons pas que les commerces doivent à nouveau fermer, ce ne doit pas être la variable d’ajustement de la crise".

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