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24 avr. 2020
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Entre inquiétude et résilience, quatre marques françaises se confient sur l’impact du coronavirus

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24 avr. 2020

Le moral est au plus bas pour l’industrie de la mode touchée de plein fouet par la pandémie. Partie de Chine, celle-ci a petit à petit gagné les autres continents chamboulant le calendrier des Fashion Weeks, des lancements de produits et plus longuement le process de fabrication des collections. Avec le confinement, en France, ce sont des dizaines de milliers de boutiques qui sont privées de leur clientèle, même si les vitrines virtuelles ont pris le relais. Alors que les géants de l’habillement annoncent déjà des pertes qui se chiffrent en milliards, FashionNetwork.com a questionné quatre marques françaises d’envergure différente sur les réflexions que font naître cette crise, dont les répercussions se feront probablement sentir durant durablement. Et si c’était l’occasion de se repenser ?


Zoé Leboucher, la créatrice d'Admise devant sa boutique parisienne.


"Travailler au maximum avec des fournisseurs proches ", Zoé Leboucher (Admise)



Ainsi, Zoé Leboucher, qui a fondé la marque Admise fin 2015 avec comme pièce phare le tailleur, y voit une confirmation de l’importance de travailler toujours plus en local. "Depuis le début, mon positionnement est de privilégier un rapport proche, aussi bien avec la cliente via notre boutique parisienne où elle vient faire les essayages, qu’avec nos fournisseurs que je souhaite le moins loin possible, explique la dirigeante et créatrice. Tous nos produits sont ensuite fabriqués à Paris et cela nous apporte une grande flexibilité."

Jusqu’à présent vendue uniquement via son e-shop et sa boutique, Admise développe le wholesale pour l’été 2020 avec une présence au Bon Marché et chez L’Exception.

"C’est un pas supplémentaire dans notre développement, mais l’actualité nous montre qu’il ne faut pas être trop dépendant des wholesalers, confie Zoé Leboucher. Cela me donne aussi envie de développer une capsule été avec des pièces pensées dans des tissus plus légers pour celles qui vont travailler. Nous allons aussi penser à développer davantage de pièces dites intemporelles pouvant être portées toute l’année. Cette période est un apprentissage et j’aimerais qu’elle pousse les gens à mieux consommer. Bien sûr nous sommes impactés et avons fait une croix sur une grosse partie de notre chiffre d’affaires (85 % de celui-ci étant généré par la boutique parisienne), j’aimerais que l’après ne serve pas à revenir en arrière. Tout le monde gagnerait à faire mieux !"
 

Anne-Fleur Broudehoux, fondatrice et D.A de Roseanna.


"Prendre une décision collective et mondiale concernant les soldes", Anne-Fleur Broudehoux (Roseanna)



Lancée en 2007, la griffe Roseanna (150 points de vente en France et dans le monde et quatre boutiques dans l’Hexagone), en pleine phase de développement depuis l’entrée à son capital de Dan Arrouas (fondateur du groupe Vog et CEO de Ba&Sh) fin 2018, a toujours misé sur des collections féminines et durables pensées dans de belles matières avec un juste rapport qualité/prix.

Mais plus que jamais, la marque veut mieux faire. "Bizarrement, cette période coïncide avec la sortie de notre plan d’engagement RSE, confie Anne-Fleur Broudehoux fondatrice et directrice artistique de Roseanna. C’est un manifeste que nous mettons en place sur trois ans qui vise à prendre des mesures à 360° en quatre pans : les relations avec nos fournisseurs, la production, la logistique et ce qu’on appelle 'les autres actions' qui concernent le siège, les boutiques, nos actions solidaires. Pour autant, cela ne change pas grand-chose pour nous car nos partenaires fournisseurs sont les mêmes depuis le début, mais l’idée est de valider nos méthodes, de réaliser davantage d’audits et de renforcer nos liens. Le packaging est aussi un gros sujet."

Mais plus que tout, c’est la question des soldes qui anime Roseanna. "Il y a un truc qui ne tourne pas rond, mais c’est une décision qui doit être prise de façon collective et à l’échelle mondiale. À l’heure du digital, il faut s’accorder sur cela, estime Anne-Fleur Broudehoux. In fine, la question des soldes c’est aussi cesser de dévaloriser la création avec des démarques à un instant T, sinon on va poursuivre cette course en avant et ce serait un très mauvais message. Décaler les soldes de trois semaines, pour beaucoup de multimarques cela peut sauver une saison !"
 

Laura Guillermin, general manager de Dawei (en haut à gauche) et Sun Dawei.


"Réadapter le rythme et les méthodes de travail", Laura Guillermin (Dawei)



Chez Dawei Studio, créé par Dawei Sun (finaliste du Prix Label Créatif de l’ANDAM 2019) et diffusé via un réseau de boutiques en ligne et physiques à travers le monde, l’heure est à la réflexion. "Nous sommes une petite structure qui ne compte que deux salariés, des stagiaires et des collaborateurs en freelance", explique Laura Guillermin, general manager de la marque.

Et de poursuivre : "Cette crise nous pousse à anticiper l’ouverture de notre propre site e-commerce. L’impact du Covid-19 est assez important aussi bien pour la saison en cours printemps-été 2020, avec des annulations de commandes ou des changements de commandes fermes à confier sans garantie de chiffre d’affaires. De plus on a eu des annulations sur les ventes automne-hiver 2020 en showroom, et donc une baisse assez importante de notre chiffre d’affaires pour la prochaine saison. Quant à la saison printemps-été 2021, nous ne ferons pas de pré-collection printemps ni de showroom en juin/juillet, et avons prévu une baisse de notre chiffre d’affaires sur cette saison de l’ordre de 50 % par rapport aux prévisions émises en début d'année."

Aussi, pour s’adapter à la situation, l’heure est à la réorganisation des méthodes de travail. "Pour le moment rien n’est encore arrêté, à part la décision de ne pas faire de Resort pour la saison printemps-été 2021 et de travailler à une collection optimisée, plus réfléchie, basée sur des silhouettes Dawei emblématiques et clés. Nous avons des contraintes, mais nous allons être innovants et créatifs. De toute façon, les rythmes comme les méthodes de travail en place n’étaient plus très adaptés ni aux nouveaux souhaits des consommateurs ni au déploiement de la créativité. La rentabilité à tout prix, des collections accélérées, toujours plus de nouveautés au détriment de la créativité et de la qualité et aussi de l’humain… C’est finalement une chance que nous avons aujourd’hui de faire une pause et de réfléchir à comment faire mieux."


Emma François, fondatrice de Sessùn, photo : Mélanie Elbaz


"S’interroger sur les calendriers des collections", Emma François (Sessùn)



Depuis Marseille, Emma François, fondatrice de Sessùn, maintient sa bonne humeur légendaire. "J’ai besoin d’aller au bureau comme un capitaine, confie t-elle. Il faut se retrousser les manches. Nous continuons de créer, les modélistes travaillent à 100%, nous avons lancé tôt les commandes des collections automne-hiver 2020, dès janvier, quand les difficultés se faisaient déjà sentir en Chine. L’activité n’est pas gelée car sinon c’est déjà creuser sa tombe."

Avec 45 boutiques dans le monde, plus de 500 multimarques (dont 120 en France) et 250 salariés, la marque lancée en 1996 est en constante progression mais n’en oublie pas pour autant de s’inscrire dans une philosophie de développement durable et de prise de conscience globale qui repose sur trois piliers d’égale importance (économie et éthique, social et environnemental).

"Plus que jamais, il faut se remettre en question sur cette période, lance t-elle. Au lieu de geler nos dépenses nous avons débloqué le budget pour pousser notre réflexion RSE sur notre impact carbone. Le cœur du sujet ce sont les calendriers : est-ce normal de livrer l’hiver en juin et l’été en mars et à chaque fois de tout solder trop tôt ? La crise amplifie ses questionnements car c’est devenu n’importe quoi !"

En septembre dernier, Sessùn affichait d’ailleurs clairement son positionnement sur les soldes et le Black Friday :"Une opération à laquelle nous ne participons pas afin de ne pas encourager une surconsommation ponctuelle décorrélée de la réalité des produits et des besoins", communiquait la marque qui reverse d’ailleurs l’intégralité du bénéfice avant impôts de cette journée à une association qui œuvre à la protection des hommes ou de la nature.

"Au final, cette crise vient nous conforter dans cette prise de décision, confirme Emma François. Mais nous allons persévérer dans cette idée et réfléchir à des petites séries non soldées. Certains diront que je suis une utopiste. Moi j’ai beaucoup d’espoir et j’espère que la machine sera moins folle."

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