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Clémentine Martin
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9 nov. 2020
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Fashion Week de Séoul: un format digital qui séduit les acheteurs chinois

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Clémentine Martin
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9 nov. 2020

Une fois le "mois de la mode" clôturé et les Fashion Weeks des quatre grandes capitales du secteur (Londres, Milan, New York et Paris) terminées, c’est au tour des défilés des autres villes du monde de commencer. Cette année, les petits et les grands ont été confrontés au même défi: réussir l’exploit d’organiser une semaine de la mode attractive en temps de pandémie. Les différentes propositions de l’Occident ont été décortiquées et examinées à la loupe; vient maintenant le temps de tourner le regard vers le continent asiatique, en commençant par la Corée, où a eu lieu du 20 au 25 octobre la Fashion Week d’automne de Séoul sous un format exclusivement digital. La célèbre créatrice coréenne Gee Chun-Hee et le britannique Edward Rutchley y ont tous deux participé. Leader de l’innovation technologique, comment ce pays a-t-il adapté sa grand-messe de la mode à l’ère post-Covid-19 ?


Look de la marque Munn pour le printemps - SFW


Jeon Mi-kyung est bien placée pour répondre à cette question. Forte d’une expérience de plus de 20 ans dans le secteur des moyens de communication, elle a entre autres été rédactrice en chef de Harper’s Bazaar en Corée. L’année dernière, la journaliste a pris les rênes de la semaine de la mode de Séoul suite au départ de son ancien directeur, le créateur Jung Kuho. Les défis liés au contexte difficile provoqué par la pandémie viennent s’ajouter aux responsabilités habituelles de la dirigeante. "Nous avons tenté de profiter de cette occasion unique pour mettre en œuvre des changements innovants pour notre semaine de la mode, afin de mieux nous adapter à l’environnement digital actuel", explique-t-elle. 46 designers ont présenté leurs collections printemps/été 2021 sous forme de vidéos créatives au cours de six journées bien remplies.

WeChat Mini Program: une vitrine commerciale adressée à 400 millions d’utilisateurs chinois par jour

"Nous avons utilisé plusieurs plateformes digitales afin de permettre l’accès non seulement aux professionnels de la mode, mais aussi au grand public", se félicite la dirigeante. Elle reconnaît que la dimension "théâtrale" des défilés physiques a pour l’instant dû être mise de côté, mais souligne que "la portée" de l’événement a été largement augmentée. Les vidéos présentées lors de la Fashion Week de Séoul ont non seulement été diffusées sur la page web de l’événement et sa chaîne YouTube, mais aussi sur Nayer, le principal portail web coréen, ainsi que sur la plateforme de vidéos de mode fondée par le photographe britannique Nick Knight ou encore sur WeChat, l’application de messagerie instantanée chinoise, où certaines des pièces qui ont défilé pouvaient être achetées pendant leur présentation. Au total, les films ont cumulé plus de 670.000 vues.




Les restrictions de mobilité menacent toujours le secteur, mais Jeon Mi-kyung conserve son optimisme. "Les professionnels qui ont eu accès aux collections sont plus nombreux que les invités aux Fashion Weeks habituelles et cela est rendu possible par le digital", affirme-t-elle. Elle reconnaît avoir "perdu l’effervescence du premier rang ou des commandes directes lors des visites aux showrooms", mais soutient que "l’intérêt de la presse et des acheteurs qui ont eu accès aux plateformes digitales et de visioconférences est encore soutenu". L’organisation n’écarte pas la possibilité de conserver certains formats implantés cette saison pour les prochaines, mais va miser sur un événement combinant "offline" et "online" dès que ce sera de nouveau possible.

L’accompagnement des créateurs est un point fondamental de cette stratégie d’adaptation. "L’une de nos principales priorités lors de cette Fashion Week a été d’aider les créateurs à s’habituer à produire leur propre contenu digital pour présenter leurs collections", relate Jeon Mi-kyung. Elle pense également qu’il est indispensable "d’imaginer de nouvelles façons de faire la promotion des collections et de dynamiser les ventes", notamment celles qui sont orientées vers le marché chinois.


Collection printemps/été 2021 de la marque coréenne MAXXIJ - SFW


Instagram s’impose comme la plateforme de référence des Fashion Weeks européennes pour la diffusion de contenu sur les réseaux sociaux, mais en Corée, le positionnement est bien différent. L’événement a voulu maximiser les possibilités d’achat en ligne à travers WeChat Mini Program, une plateforme lancée en collaboration avec le géant du e-commerce Tencent, qui distribue les services de messagerie QQ et WeChat. Le réseau compte plus de 400 millions d’utilisateurs uniques chaque jour en Chine. Par ailleurs, des séances de shopping en direct ont été proposées à travers la chaîne mode et beauté de Naver et l’exposition-vente "Designer Window Exhibition".

Une stratégie post-Covid-19 centrée sur la vente directe



"Auparavant, nous étions plutôt concentrés sur la vente B2B des collections. Mais aujourd’hui, nous accompagnons aussi les marques dans la vente B2C", détaille la dirigeante. Elle a en effet fait le choix d’un format "see now buy now" et mis l’accent sur le "live commerce", de nouveaux formats pouvant aider les créateurs à "surmonter la chute des ventes provoquée par les conséquences du Covid-19". Jeon Mi-kyung n’a pas de doute: les jeunes talents seront plus prompts à se remettre en selle. "Aujourd’hui, les marques traditionnelles souffrent, mais les jeunes designers créatifs qui proposent des pièces uniques et pratiques et se tournent vers les millennials sont en pleine expansion. Je suis persuadée que ces marques, déjà en croissance sur le marché asiatique, vont donner de la visibilité à la mode coréenne sur la scène globale", analyse-t-elle.


Le Britannique Edward Ruchtley était le créateur étranger invité du défilé - SFW


Au cours de ce rendez-vous de la mode coréenne, les internautes ont pu découvrir les collections de 33 créateurs locaux, dont l’ex-star de la K-Pop Park Seung-Gun, à la tête de la marque de streetwear PushButton, ou encore Kim Jae-Hyun et sa marque Aimons, à l’esthétique sobre. Lee Jae-Hyung, qui se cache derrière la firme conceptuelle MAXXIJ, était aussi de la partie, tout comme Han Hyun-Min, de la marque d’inspiration "sixties" Munn et Park Yun-Soo, aux commandes de la marque urbaine Big Park. La créatrice Gee Chun-Hee, elle, a fêté ses 20 ans de carrière et a inauguré la semaine de la mode avec Miss Gee Collection, comme elle l’avait fait lors de la première édition de l’événement. On retiendra aussi la sélection intitulée "Génération Next", composée de neuf jeunes talents locaux, ainsi que la présentation du créateur britannique Edward Rutchley, dans le cadre d’un programme d’échange mis en place avec la semaine de la mode londonienne. En parallèle de la Fashion Week, les e-visiteurs pouvaient assister au salon professionnel "Génération Next Seoul", ayant pour but de promouvoir la mode coréenne au-delà de ses frontières en mettant en relation 91 marques locales avec 115 acheteurs étrangers.

Sensible aux tendances, la Corée est perçue par ses voisins comme un pays de "bon goût" qui importe sa mode dans de nombreux pays, selon la responsable de l’événement. La grande partie des exportations, en revanche, part vers la Chine, le principal marché étranger pour l’industrie du design coréen. De plus, la Corée est un important consommateur de marques de luxe internationales et le secteur du luxe a cruellement souffert de la baisse de la demande des consommateurs coréens pendant la pandémie. "L’intérêt et le goût pour la mode n’ont pas faibli malgré la récession économique. Le Covid-19 a peut-être ralenti la croissance et affecté l’impact des influenceurs de mode locaux, mais l’industrie est toujours en progression", conclut Jeon Mi-Kyung.

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