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H. Digel et M. Höhn: "Christian Dior n'aurait pas pu devenir Dior en Allemagne"

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25 nov. 2013

Alors que les Allemands ont voté le 22 septembre dernier et attendent la mise en place de la coalition qui gouvernera leur pays, FashionMag.com en a profité pour échanger avec Hans Digel et Markus Höhn sur la consommation outre-Rhin et les spécificités de la première économie du Vieux Continent. Le premier est à la tête de la société familiale éponyme, spécialisée dans le costume modulable. Il est également vice-président de la fédération du textile du Sud-Ouest du pays de Goethe (Südwesttextil). Le second est à la tête du magasin homme pointu munichois Loden Frey et siège aussi au conseil de surveillance de Digel. De passage à Paris, les deux hommes ont donné un point de vue à la fois spontané et réfléchi...

Hans Digel. Photo DR


FashionMag.com: Après les élections législatives de septembre, quel est le climat de la consommation outre-Rhin ?
Hans Digel: Il n’y pas vraiment eu de discussions en Allemagne. C’était clair qu’il y aurait une coalition qui a déjà eu lieu (les conservateurs et les sociaux démocrates ont déjà gouverné ensemble de 2005 à 2009, ndlr). C’est normal pour nous. Ce qui est plus important, c’est la situation en Europe et dans le monde. Chez nous, la situation économique est en ordre.
Markus Höhn: Nous sommes une nation tournée vers l’export donc nous regardons aussi de près les situations en Asie et aux États-Unis. Ce qui n’est pas habituel pour les Allemands, c’est que, bien qu’il y ait des crises chez nos voisins, ils ne se laissent pas influencer par les nouvelles. D’habitude, les consommateurs allemands se réfugient dans l’épargne et sont inquiets. Là, la consommation reste au même niveau. Pas de changement.
HD: Les Allemands vont bien en somme.
MH: Et dépensent. Cela a changé. Il faut dire que les alternatives pour placer l’argent disponible avec des taux d’intérêt aussi faibles ne sont pas séduisantes.

FM: Un parfum Carpe Diem ?
MH: Carpe Diem à l’échelle allemande (rires).
HD: Pour chaque ménage, il y a la notion de recettes et de dépenses à équilibrer.
MH: Ce qui est nouveau aussi, c’est la confiance en soi ou la conscience de soi. Dans la dernière année, l’Allemagne a été moteur en Europe et nous ressentons que le modèle allemand est regardé et une certaine fierté s’en dégage. Angela Merkel est donc intouchable car nous avons le sentiment qu’elle a bien dirigé le pays pendant la crise. Pourquoi donc changer du coup de cap.

FM: Concrètement des discussions en vue de former un gouvernement sont en phase finale. Les sociaux démocrates veulent l’instauration d’un salaire minimum. Est-ce qu’en tant qu’entrepreneur cela vous effraye en quelque sorte ?
HD: Non, nous n’avons pas peur. Les sociétés payent mieux leurs salariés que le salaire minimum envisagé. Ensuite, il y a des secteurs d’activité comme la logistique. Prenez Amazon, ils réagissent de façon économique en délocalisant en Pologne des centres logistique. D’un point de vue entrepreneurial, c’est justifié. Comme l’habillement, que ce soit en France ou en Allemagne, 90 % de la production a été délocalisée dans d’autres pays où la main d’œuvre est moins chère. Il ne faut pas discuter de cela mais de la stratégie finale des entreprises.
MH: Politiquement, la discussion sur le salaire minimum est bonne. Les conditions de travail chez Amazon ne correspondent pas à notre pays.
HD: Une société à deux classes sociales n’est pas une solution. Le salaire est une chose pour une entreprise. Mais, l’Allemagne a ceci dit des avantages comme des importations peu onéreuses et elles exporte des produits chers, comme dans le secteur automobile.

Markus Höhn



FM: Mais dans l’habillement ?
HD: Nous ne voulons pas pratiquer les prix les plus bas. C’est notre théorie. On veut la qualité et le service. Le rapport qualité-prix prime.

FM: Mais, vous êtes les inventeurs du discount avec Aldi ou Kik Textilien ?
HD: Aldi c’est un bon concept, un concept qui fonctionne avec des prix imbattables.
MH: C’est le moyen de gamme qui n’est pas facile actuellement. Ou bien, il faut des concepts à identité comme Olymp ou Digel.
HD: Le moyen de gamme au moment où les tendances vont sur les prix…. En Allemagne, les fournisseurs du moyen de gamme vont vers le service, l’image, la confection. Dans ce milieu de gamme, il est également possible de monter une marque. Sur les Champs-Elysées, vous avez des marques mondiales mais pas de moyen de gamme. En Allemagne, nous en avons et c’est une chance. En France, prenez Vestra, la société n'existe plus. Ils ont manqué leur développement export et manqué le développement d’une véritable marque.
MH: Le consommateur cherche aussi une certaine continuité dans la qualité, le service, le conseil, l’ambiance… Il ne veut pas entrer et se trouver face à 1000 références de costumes. Notre client a déjà tout à domicile dans ses placards. Il vient pour se faire guider ou chercher un twist en plus. Il vient pour le plaisir.
HD: Avec son argent disponible, il recherche des labels de qualité.


FM: Chez Loden Frey, vous travaillez avec peu de marques allemandes...
MH: Si vous prenez en mode féminine Strenesse Rena Lange ou Escada, elles ont été des griffes internationales mais ont eu des difficultés. Dans l’homme, Boss ou Digel, ils ont le savoir-faire produit.
HD: L’Allemagne n’a pas cette tradition de la mode. Christian Dior ne serait pas devenu Dior chez nous. En Italie et en France, oui !
MH: Nous sommes un peu trop technocrates et pas assez glamour peut-être.
HD: C’est une question de mentalité. Nous produisons bien et parfois oublions que cela ne suffit pas dans la mode.

FM: Côté multimarques, quel avenir donnez-vous au wholesale quand on voit le nombre de projets outlets ou de développements de retail en Allemagne ?
MH: Les outlets, c’est un circuit qui est encore peu développé en Allemagne comparé à d’autres pays, donc oui le potentiel est là. Le wholesale ne fonctionnera qu’avec des boutiques à l’identité forte. Les petites chaînes moyen de gamme ne fonctionnent plus. Les monomarques continueront de leur côté leur expansion. Malgré cela, je crois que les multimarques ne sont pas morts. Il y aura toujours des concept-stores qui montreront le mix de marques, les alternatives à Burberry ou Armani. Le magasin propose un mix de marques et le client veut être abordé avec du service… De plus, le online est un service supplémentaire.

FM: Certains observateurs parlent du devenir des magasins comme des showrooms ?
MH: Je ne pense pas que les magasins se contenteront d’un rôle de showroom BtoC. Prenez les cuisines. Les Allemands ont les plus belles et pourtant les restaurants sont pleins. Ils veulent être ensemble. De même, mes enfants hyper connectés, à peine arrivés à Londres, m’ont dit "let’s go to Primark, to Abercrombie and Fitch…" Comme par le passé, les individus souhaitent vivre l’expérience du shopping en ville.

FM: Mais, avec la crise, les réassorts prennent le dessus sur les précommandes. C’est la question de la répartition des risques entre les acheteurs et les marques ?
HD: Il y a toujours eu une discussion sur la répartition des risques entre les détaillants et les fournisseurs. Il y a vingt ou trente ans, le Sentier à Paris permettait de réassortir. Chez Digel, aujourd’hui, les réassorts pèsent la moitié de l’activité.

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