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24 avr. 2021
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Jean-Sébastien Veilleux (La Canadienne): "Notre corporation ne doit pas être sacrifiée"

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24 avr. 2021

Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des commerçants mode déplorant un soutien trop faible de l’État, le PDG de La Canadienne Jean-Sébastien Veilleux est le second professionnel à prendre à la parole, après Michel Vernier de Ryvia (Pause Café). Le dirigeant de l’enseigne multimarque (spécialiste des pièces à manches chaudes, des peaux et des cuirs) a poussé un coup de gueule sur le plateau de BFM Lyon la semaine dernière, qui a été fortement relayé. Signe que sa situation délicate est partagée par nombre de PME du secteur.


La Canadienne emploie 45 personnes et exploite neuf boutiques - La Canadienne


Ce qu’il dénonce ? "Une méconnaissance totale de notre métier de la part de l’État, qui a mené à de fortes inégalités dans les aides promises selon les tailles et les structures des entreprises", introduit Jean-Sébastien Veilleux. Il met factuellement en comparaison les pertes et frais qu’il a accumulés depuis le début de la crise, et les "aides ridicules" réellement perçues: soit 2,6 millions d’euros de manque à gagner sur 13 mois, 4 millions d’euros de stocks achetés, et 660.000 euros de loyers pour les boutiques, face à 10.000 euros reçus au titre du fonds de solidarité.

Il évoque également une différence de traitement selon la structuration des marques: son réseau est abrité juridiquement par une seule et même entreprise, ce qui le pénaliserait, car si ses boutiques étaient pilotées par une société différente à chaque fois, il aurait selon lui pu toucher un montant dix fois supérieur, soit 100.000 euros. Ce qu’il demande, c’est une aide simple calculée proportionnellement selon le chiffre d’affaires perdu.

Par ailleurs, La Canadienne, qui réalise d’ordinaire 10 millions d’euros de ventes annuelles, ne peut pas prétendre aux aides sur les coûts fixes consenties aux sociétés qui réalisent plus de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires. Néanmoins, l’entreprise lyonnaise, qui exploite neuf boutiques en France et un e-shop, pourra sans doute bénéficier des aides - à venir- sur le sujet des stocks, pour un montant de 8.000 euros, a calculé le patron. Un soutien selon lui dérisoire et inéquitable: "cette subvention sera aussi versée aux commerçants affiliés qui ne supportent pourtant pas leur stock, c’est aberrant".


L'enseigne est notamment spécialisée dans les blousons de cuir. - La Canadienne


En outre, Jean-Sébastien Veilleux, qui est également président de la FNH pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, possède deux points de vente en station de ski, qui n’ont pu recevoir le soutien dédié au secteur montagne car le siège de l’entreprise n’est pas basé dans la zone. Pour tenter de générer du cash, il s’est résolu à vendre sa boutique de Megève.

Pour le dirigeant, la goutte d’eau a été d’apprendre qu’il toucherait 1.500 euros au titre des fermetures imposées au mois de mars, pour ses magasins de Paris (dès le 19 mars) et de Lyon (à partir du 26). Se sentant humilié, il a décidé d’adresser à Bruno Le Maire un chèque du même montant, accompagné d’une lettre qui argue notamment "je ne fais pas la manche, j’ai un minimum d’honneur et de dignité". Ce qui provoque ce mouvement d’humeur, c’est aussi l’effet de seuil du fonds de solidarité : "nous terminons le mois de mars à -35% d’activité, or si nous avions fait -50%, c’est une somme proche de 200.000 euros que nous aurions pu percevoir", affirme-t-il.


Le dirigeant a fait part de son indignation en plateau - Capture écran/BFMLyon


Le commerçant devra aussi commencer à rembourser à partir d’avril 2022 son prêt garanti par l’État obtenu l’an dernier, à hauteur de 40.000 euros mensuels. Une échéance qui lui fait dire qu’il n’aura plus aucune marge de manœuvre pour négocier auprès des banques et qu’il devra donc stopper tous les investissements envisagés (comme la refonde du site web).

De plus, "la communication de l’État sur les milliards accordés joue également contre nous dans nos relations avec les bailleurs et les fournisseurs, qui n’acceptent plus de nous aider", regrette Jean-Sébastien Veilleux, qui s’inquiète également de l’éventualité de ne plus avoir d’assurance-crédit (au vu du mauvais bilan financier) et donc de devoir entièrement prépayer les marchandises pour les collections à venir. Ce qui sera très ardu, et menace donc la pérennité de La Canadienne. 

"L’État lâche une partie des entreprises de mode, qui réalisent 2, 5, 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce sont pourtant elles qui font la richesse et la singularité du paysage français en matière d’habillement, face aux Zara et compagnie. Si la situation n’évolue pas, j’aimerai que Bercy ait le courage d’assumer son choix et de dire: 'vous, les PME qui pouvez vous en sortir par vous-mêmes, on ne vous aidera pas. Vous vous démerdez!'", lâche celui qui réfléchit aussi à mener une action en justice.

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