Par
Les echos
Publié le
23 juin 2011
Temps de lecture
4 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Jeff Bezos (Amazon) : « Si vous vous contentez de votre coeur de métier, vous êtes en danger »

Par
Les echos
Publié le
23 juin 2011

Vingt minutes chrono chacun, pas une de plus: Jeff Bezos a accordé des interviews à quatre médias français. Une conversation régulièrement ponctuée du célèbre et tonitruant rire du patron américain.

Quel a été le changement le plus stupéfiant depuis que vous avez fondé Amazon?

En 1995, j'ai levé 1 million de dollars auprès de 22 «business angels» qui investissaient environ 20.000 dollars chacun. Et ils me posaient tous la même question: «cCest quoi Internet?». C'était il y a seize ans seulement! Le changement a été extraordinaire. Aucune autre technologie ne s'est développée aussi vite et aussi globalement qu'Internet. C'est probablement inédit dans l'histoire de notre civilisation.

Amazon, Jeff Bezos
Jeff Bezos - Photo : AFP

Et quel sera le prochain changement stupéfiant?

En fait, je passe la majeure partie de mon temps à tenter d'identifier ce qu'Internet ne va pas changer... Parce que s'il est facile de bâtir un modèle économique sur un terrain stable, c'est beaucoup plus difficile de le faire sur un terrain mouvant. Pour revenir à votre question, je dirais que ce sera probablement la technologie mobile, le sans fil et ces smartphones et tablettes de plus en plus sophistiqués.

Aux Etats-Unis, on passe désormais plus de temps sur les applications mobiles que sur le Web. Est-on entré dans la seconde partie de la révolution numérique?

Nous en sommes juste au début, au premier jour. Avec les nouvelles technologies, il est tentant de se voir plus avancé qu'on ne l'est réellement. En fait, on est bien plus primitif qu'on le pense. Cela s'applique aussi à Amazon.

Cela vous inquiète?

Non, cela me ravit, car c'est formidable pour le e-commerce. Historiquement, notre business s'est construit avec des gens achetant depuis un ordinateur de bureau ou un ordinateur portable, qu'on n'utilise pas n'importe où. Les tablettes et les smartphones, eux, s'emportent partout.

Amazon aujourd'hui, c'est du commerce, le livre électronique Kindle, bientôt une tablette, le «cloud» pour stocker les contenus... Comment définiriez vous l'entreprise?

Trois éléments définissent Amazon, des attributs culturels plus que des activités: le premier, c'est l'obsession du client, pas de la concurrence; le deuxième, la volonté d'inventer, ce qui veut dire accepter de ne pas être compris; et le troisième, une vision à long terme. A partir de là, nous voulons aussi acquérir de nouvelles expertises. Quand nous nous sommes lancés dans le programme Kindle il y a sept ans, il nous a fallu apprendre à concevoir du «hardware», à gérer de nouvelles chaînes d'approvisionnement. Nous allons recruter des gens encore plus pointus, mais nous devons aussi continuer à apprendre. Si vous ne faites pas ça, si vous vous contentez de votre coeur de métier, les changements se font sans vous, votre expertise est vite dépassée et là, vous êtes en danger.

Avez-vous douté parfois?

Toutes les décisions importantes que nous avons prises ont été plus ou moins bien comprises. Certains vous critiquent avec sincérité parce qu'ils aimeraient que tout fonctionne bien. D'autres le font plus égoïstement. Lorsque nous avons publié les premiers avis de lecteurs sur le site, en 1995 ou 1996, certains éditeurs se sont plaints. «Vous ne comprenez pas où sont vos intérêts, m'écrivait l'un d'eux. Vous gagnez de l'argent en vendant, alors pourquoi publier des avis négatifs?» Mais nous pensons que nous gagnons de l'argent lorsque nous aidons notre client à prendre la meilleure décision d'achat. Et ces avis négatifs peuvent justement l'aider à la prendre.

Vous avez déjà changé d'avis sur un dossier majeur?

Oui. Nous avons souvent abandonné des projets qui avaient échoué. Prenez l'ouverture de notre plate-forme à des tiers. Les critiques contre Amazon Enchères étaient nombreuses et se sont révélées exactes, donc nous avons arrêté; pour The Shop, il s'est passé la même chose; et puis nous avons lancé notre Market Place, devenue Merchant Sellers, et le succès a été énorme. C'est bien la preuve qu'on peut s'en tenir à une vision, même si son application évolue.

Comment comptez-vous devenir le roi du «cloud»?

Grâce aux moteurs de notre succès: l'innovation, l'excellence et la structure des coûts. L'excellence consiste à s'assurer que ces services seront facilement accessibles et avec un minimum de défauts, que le système sera opérationnellement et statistiquement proche de la perfection. Et nous devons être suffisamment efficaces pour continuer à faire baisser nos tarifs et proposer ces services aux meilleurs prix.

Quelles sont les nouvelles catégories de produits dont vous rêvez?

Nous avons désormais la plupart des grandes familles de produits (42 aux Etats-Unis) et nous préférons les travailler en profondeur. Nos priorités sont l'électronique et l'habillement. Dans les loisirs -livres, livres audio, musique, etc.-, le chantier de transformation numérique est gigantesque.

Amazon compte 38.000 employés. Cela a-t-il changé votre approche du management et de la culture d'entreprise?

Certaines entreprises changent en grandissant et je ne voudrais pas que cela nous arrive. Les points-clef de notre culture d'entreprise, eux, n'ont pas bougé. Et j'aime cette culture, la dynamique interne d'Amazon à base de débat et de confrontation des idées, mais en se respectant les uns les autres. A la cohésion forcée, je préfère la recherche de la vérité, qui demande beaucoup d'énergie. Donc je répète ce mantra encore et encore.

Propos recueillis par François Bourboulon

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 Les Echos