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Paul Kaplan
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11 déc. 2020
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Jil Sander parle de la collection +J avec Uniqlo et de la mode actuelle

Traduit par
Paul Kaplan
Publié le
11 déc. 2020

Peu de créateurs ont mis en place une esthétique aussi distinctive que celle de Jil Sander, généralement considérée comme la plus grande créatrice de mode minimaliste de l'histoire.


Jil Sander - Foto: Peter Lindbergh / Uniglo


Ses formes raffinées, son attention obsessionnelle accordée aux détails de ses vêtements, son insistance sur la qualité des tissus et sa compréhension innée de la morphologie humaine lui ont permis de construire une œuvre unique, au cours d'une carrière qui s'étend désormais sur cinq décennies.

Jil Sander vient de lancer sa nouvelle collaboration avec Uniqlo, intitulée "+J", qui revient sur un partenariat établi pour la première fois avec le géant japonais de la distribution en 2010. La collection — mixte — a été lancée le mois dernier en Allemagne, mais pour cause de pandémie, elle n'a commencé à apparaître que progressivement dans les flagships d'Uniqlo au niveau international.

Née à Wesselburn, près de la mer du Nord, Jil Sander fonde sa maison en 1968 à Hambourg avec la machine à coudre de sa mère. Elle est immédiatement reconnue pour son talent à habiller des clientes cultivées et sophistiquées, dans un style discret mais raffiné. En 1999, lorsque le chiffre d'affaires de sa marque dépasse les 100 millions de dollars, Jil Sander vend la société à Prada, avant de prendre sa retraite. Revenue deux fois aux manettes, elle finit par déposer ses ciseaux une bonne fois pour toutes en 2013.

Parallèlement aux activités de son propre label, Jil Sander crée sa société de conseil — et son premier client n'est autre que le groupe Fast Retailing, propriétaire d'Uniqlo, pour lequel elle développe la première ligne +J en 2010.


Photo : +J pour Uniqlo - Foto: +J para a Uniqlo


La collection 2020 de Jil Sander pour Uniqlo permet à ses admirateurs de faire l'acquisition de vêtements à la fois "cérébraux" et sophistiqués, à un prix plutôt doux pour le portemonnaie. Pour les femmes, des parkas matelassées, certes simples mais superbes, des chemises masculines raffinées et des blazers sobres pour aller travailler. Pour les hommes, d'élégants cardigans à pois, des chemises de travail bleu clair et des manteaux à col tailleur. 

C'est dans ce contexte que nous avons rencontré la légendaire et discrète Frau Sander pour en apprendre un peu plus sur ses rêves, sur cette collaboration et sur la mode en général, écouter son avis sur les défilés actuels et son opinion sur ses successeurs à la tête de la maison qui porte son nom.


FashionNetwork.com : Pourquoi avez-vous créé cette collection pour Uniqlo ?

Jil Sander :
 Je voulais réagir face à l'idée de "mode jetable", avec une collection aux volumes contemporains et à la qualité supérieure, le tout à des prix démocratiques.

FNW : Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre collaboration avec Uniqlo ?

JS :
Je suis impressionnée par le pouvoir commercial, la logistique et le réseau de distribution mondial d'Uniqlo. La possibilité de toucher de nombreuses personnes dans le monde entier me remplit de bonheur. Uniqlo me soutient dans ma vision créative — des uniformes modernes et sophistiqués taillés pour tout le monde, indépendamment des différences de classe et d'ethnie.

FNW : Que vouliez-vous faire différemment cette fois-ci par rapport à votre précédente collaboration ?

JS : Cette fois-ci, l'idée générale derrière la collection était très différente. On peut le voir dans les silhouettes — plus généreuses, plus douces et plus protectrices. Et puis il était important que la collection soit plus concentrée. Sur le plan créatif, c'était un véritable défi de ne pas atténuer la force du propos en le réduisant, et de réaliser un ensemble cohérent au lieu de pièces séparées.

FNW : Les clients berlinois ont fait la queue pendant des heures pour acheter les pièces de la ligne +J. Ça fait quoi de se sentir aussi influente dans la mode ?

JS :
 J'ai été surprise et impressionnée par les files d'attente, car elles impliquent que je n'ai pas été tout à fait oubliée... Peut-être qu'on est tombé au bon moment, avec une collection qui recherche la pureté et se veut vraiment contemporaine.


+J pour Uniqlo - Foto: +J para a Uniqlo



FNW : J'ai cru comprendre que vous aviez pour projet d'éditer un nouveau livre. C'est vrai ?

JS :
 Oui. Le livre cherche à mettre en perspective le travail de ma vie, à montrer comment tous mes efforts ont été inspirés par la même attitude et la même vision.

FNW : Organiser vos propres défilés, ça vous manque ?

JS : 
Ces derniers temps, les défilés se sont transformés en grands événements. Mais cette année, à cause de la pandémie, il était très difficile de mettre en scène ce genre de format, et les créateurs ont planché sur de nouvelles façons créatives de présenter leur travail. J'ai toujours essayé d'être très concise dans mes défilés en me concentrant sur le vêtement lui-même. Mais je suis ouverte à différentes possibilités, et avec +J, nous avons opté pour une présentation virtuelle discrète, qui me convenait très bien.

FNW : On décrit souvent votre style comme "minimaliste". Êtes-vous d'accord avec cette définition ?

JS :
Pour ma part, je ne parle jamais de minimalisme. Pour moi, il est lié à certaines tendances de l'art et de l'architecture. Mais si vous travaillez sur le corps humain, il y a une limite à la réduction, à la stylisation. Je veux créer des vêtements qui mettent en valeur l'individu, et le processus pour y parvenir est parfois très complexe. Pour moi, le résultat recherché a plutôt à voir avec la pureté : le vêtement doit donner l'impression que celui qui le porte est en harmonie avec son corps, avec son individualité, mais aussi avec son époque.

FNW : Si l'on devait se souvenir de vous pour une seule de vos nombreuses contributions à la mode, laquelle choisiriez-vous ?

JS : Je voudrais qu'on se souvienne d'une vision globale. Mon approche de la mode correspond à mon approche de la vie. Je crois qu'il faut changer les choses et, pour ce faire, proposer un design pour le moment présent. Je crois aussi qu'il faut se débarrasser des choses qui n'ont plus de sens aujourd'hui. Je veux que mon travail soit pertinent et nous aide à nous concentrer sur l'avenir.


+J pour Uniqlo - Foto: +J para a Uniqlo


FNW : Votre oeuvre a fait l'objet d'une exposition rétrospective à Francfort. Avez-vous l'intention de réitérer l'expérience ?

JS :
 En ce moment, à cause de la pandémie, tous les pourparlers sur d'éventuelles expositions sont interrompus. Mais à l'avenir, j'aimerais beaucoup que l'exposition voyage.

FNW : Depuis que vous avez cessé de dessiner des collections chaque année, il paraît que vous consacrez beaucoup de temps au jardinage. Quelle est la plus grande différence entre le création d'un jardin et le design de mode ?

JS : La différence n'est pas si grande. Un jardin est en constante évolution, il faut sans cesse s'adapter à de nouvelles conditions et créer de nouvelles harmonies. Il en va de même pour les changements sociaux et culturels. On se lasse du passé et on a envie de nouvelles coupes, de nouvelles proportions, de nouvelles solutions textiles.

FNW: Quel effet cela fait-il de voir les collections de Luke et Lucie Meier pour Jil Sander ?

JS : Je suis très heureuse de voir ma marque entre leurs mains.

FNW: Quels sont les autres créateurs que vous admirez, qu'ils soient d'hier ou d'aujourd'hui, et pourquoi ? 

JS : Il y a beaucoup de designers qui m'intéressent, mais je préfère ne pas les nommer individuellement.

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