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14 oct. 2020
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Kachen Hong (Etam): "Dans le secteur textile, on dévoile rarement le nom de ses fournisseurs, et on les montre encore moins"

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14 oct. 2020

Début octobre, le groupe Etam (Etam, Undiz, Maison 123…) a dévoilé le projet "Transparency", qui porte l’ambition de faire découvrir à ses clients les conditions de fabrication de ses modèles de lingerie. Via l’étiquette du produit, sur laquelle est imprimé un QR-Code à scanner, ou directement sur l’e-shop, une courte vidéo expose sans fard l’usine qui l’a confectionné. 80% de l’offre sous-vêtements du groupe est actuellement couverte par ce projet, l’objectif étant de passer à 100% d’ici la fin d’année 2021. Cette initiative, émergeant du programme "We Care" pour une mode plus durable, initié par la société en 2019, a été supervisée par Kachen Hong, directrice RSE du groupe. Elle décrit pour FashionNetwork.com la mise en œuvre du dispositif ces derniers mois, les avancées d’Etam en matière d’éco-responsabilité et les défis qui l’attendent encore.


Kachen Hong - Etam


FashionNetwork : Quel est votre parcours et dans quelle cadre avez-vous intégré le groupe Etam ?

Kachen Hong :
Diplômée de Science Po, j’ai été consultante en développement durable pendant six ans, et j’ai fondé la marque écoresponsable Les Sublimes, qui a été vendue l’année dernière. C’est cette expertise hybride entre entreprenariat et conseil en développement durable qui a intéressé le groupe Etam. Mon arrivée début 2020 est un moyen de donner plus d'élan, plus de moyens et de visibilité à la stratégie RSE du groupe, d’où la création de ce poste de directrice, supervisant une équipe étoffée de cinq personnes.

Mais la RSE n’est pas une nouveauté chez Etam: le programme "We Care" a été lancé l’an dernier pour placer ce principe au cœur de la stratégie du groupe. Mon arrivée a permis de valider les différents axes, notamment l’objectif d’atteindre 80% de collections écoresponsables d’ici 2025, contre 25% aujourd’hui. Ce qui est déjà un net progrès car il y a trois saisons, au démarrage, ce taux n’était que de 8%.

FNW : Pourquoi avoir choisi de montrer la fabrication de vos produits en vidéo ?

KH :
Le projet "Transparency" permet en deux clics de donner la carte d’identité de l’usine qui a fabriqué le modèle, c’est-à-dire son nom, sa géolocalisation, le nombre de salariés qui y travaillent, la norme d’audit social et la durée de son partenariat avec le groupe Etam. Des données qui sont certifiées par une association. On peut ensuite observer les étapes de fabrication du produit en question via un petit film. Dans le secteur du textile, on dévoile rarement le nom de ses fournisseurs, et on les montre encore moins. Nous sommes les premiers à diffuser ces images pour chaque produit. Notre parti-pris est de proposer une immersion avec des séquences brutes, sans mise en scène marketing.


Chaque vidéo débute par la fiche descriptive du partenaire. Ici une usine en Chine. - Etam


FNW : Qui a tourné les images et effectué le montage de ces vidéos ?

KH :
Nous avons demandé aux responsables des usines de filmer eux-mêmes leur site, et pour certains, ce sont les équipes locales d’Etam, comme par exemple des gestionnaires de contrôle, qui ont tourné les images. Tout s’est enclenché en un temps record car les vidéos ont commencé à être réalisées après le confinement. Le montage est effectué en interne par les équipes digitales. Pour l’heure, 90 usines sont concernées, en Chine, au Bangladesh, en Turquie, en Roumanie, au Maghreb ou en Italie.

FNW : Quel est le coût d’un projet comme celui-ci ?

KH :
Cela nécessite un budget certain, mais c’est surtout l’investissement des équipes du groupe, et de nos partenaires, qui est important pour sa réussite. La demande a bien été accueillie par les fournisseurs, assez contents que le groupe Etam les mette en avant. Certains nous ont envoyé des rushs extrêmement longs ! La vidéo ne dure qu’une trentaine de secondes, mais à chaque fois, elle montre un produit Etam en train d’être fabriqué.


Etape d'assemblage du produit - Etam


FNW : Quels sont les premiers retours sur ces étiquettes et pensez-vous que cela puisse avoir des conséquences positives sur vos ventes ?

KH :
Elles suscitent de la curiosité en boutique et les premiers retours sont positifs, mais c’est encore très récent. On sait que les sujets de la transparence et de l’engagement environnemental intéressent nos clients et les consommateurs en général. Ce n’est pas un effet de mode, et ce dispositif est une manière de répondre à leurs interrogations. Néanmoins, nous n’avons pas étudié son influence sur le déclenchement ou non d'un achat.

FNW : Quelles sont les prochaines étapes du projet "Transparency" ?

KH :
La démarche a commencé avec les collections de lingerie, le but est de l’étendre au prêt-à-porter (Etam, Maison 123, ndlr). En outre, cette volonté de transparence ne concerne pour l’instant que les fournisseurs de rang 1, avec qui nous traitons directement. Notre but pour les années à venir est de remonter la chaine d’approvisionnement pour garantir une vraie traçabilité, y compris la filature, la teinture… Malheureusement nous n’avons pas toujours de visibilité sur ces étapes.

FNW : Comment vous assurez-vous des conditions de travail dans les usines qui œuvrent pour Etam ?

KH :
Actuellement, 92% des références produit sont couvertes par un audit social validé chez nos fournisseurs. Notre objectif est évidemment d’atteindre les 100%. Nous demandons aux usines partenaires de nous fournir un certificat d’audit valable, selon les normes ou organismes BSCI, ICS, SA8000 ou SMETA. Depuis 2020, si un fournisseur n'est pas en mesure de produire un certificat, les équipes achat Etam ont interdiction de lui passer commande.


Confection du maillot de bain Elma, dans un atelier en Tunisie - Etam


FNW : Avez-vous donc renoncé à travailler avec certains partenaires ?

KH :
Quand on a renforcé ces critères, nous n’avons pas voulu couper nos relations avec certains fournisseurs: un programme d’accompagnement est mis en place pour les orienter vers un audit. Certaines usines peuvent bénéficier de dérogations si elles se sont engagées à en réaliser un dans les mois à venir. En lingerie, on ne change pas de fournisseur toutes les saisons, certains travaillent avec le groupe depuis plus de dix ans. Nous proposons aussi un plan d’action à certains, incluant notamment des formations encadrées par la BSCI, dont 1.000 heures ont été dispensées dans nos usines partenaires en 2019.

FNW : Avez-vous le même souci de contrôle pour les sous-traitants ?

KH :
Il n’y a pas de sous-traitance chez Etam. Si un fournisseur ne peut pas absorber la totalité d’une commande, il doit le déclarer: une autre usine que nous connaissons peut prendre le relai, sinon, nous pouvons en urgence intégrer l’usine à laquelle il aura fait appel dans notre liste de partenaires directs.

FNW : Que répondez-vous aux personnes sceptiques vis-à-vis de votre démarche de transparence ?

KH :
On ne peut pas plaire à tout le monde. Ce n’est d’ailleurs pas le but, même si nous sommes totalement ouverts au dialogue: le groupe souhaite mener une action sincère et engagée, qui fait sens. Elle suscite beaucoup de passion en interne. On y croit !

FNW : Justement, comment faire pour impliquer l’ensemble des salariés du groupe dans ce travail autour de la durabilité ?

KH :
Les équipes sont en général très enthousiastes sur ce sujet. Nous lançons d'ailleurs un vaste programme de formations internes sur le sujet de la RSE, avec des contenus adaptés aux différents métiers (achats/sourcing, marketing/communication, magasins…). Un premier volet, concernant un tiers des employés du siège, va démarrer dans quelques jours.


Robe-pull en cachemire recyclé, étiquetée à 109 euros - Etam


FNW : Sur quels autres projets RSE avancez-vous ?

KH :
Dans le cadre du Fashion Pact, dont le groupe est signataire, l’un des critères majeurs est celui du zéro plastique à usage unique. Nous nous engageons dans cette chasse: le groupe a identifié 300 tonnes de plastique qui pourraient être supprimées en 2020 et 2021, soit un peu plus du tiers du gisement. Cela va s’opérer petit à petit mais l’objectif est de supprimer totalement le plastique à usage unique d’ici 2025 pour nos activités BtoC et 2030 sur le volet BtoB, pour toutes les marques du groupe. Les sacs en papier sont déjà en circulation dans les magasins, et, dans les prochains mois, nous allons lancer des pochettes d’expédition en version kraft recyclé pour les envois e-commerce. De plus, les cintres en plastique ont aussi vocation à être progressivement éliminés.

FNW : Cette réflexion autour de la durabilité concerne-t-elle aussi matières premières ?

KH :
Oui. Depuis cette saison, toute la ligne de cachemire Etam est réalisée en fibres recyclées. Une chaîne courte a été mise en place en Italie: des chutes et de vieux pulls en cachemire sont déchiquetés mécaniquement, pour créer un nouveau pull, auquel on intègre un peu de cachemire vierge, tandis que le teinturier est certifié GOTS. Nos positionnement reste complètement accessible, le prix d'un pull Etam en cachemire démarre à 79 euros.

FNW : La seconde main est un sujet incontournable en ce moment, Etam s’y intéresse-t-elle ?

KH :
Au sein du groupe, Maison 123 a déjà lancé sa plateforme de mode d’occasion. Pour la lingerie en revanche, la seconde main apporte une difficulté supplémentaire, puisqu’il s’agit de sous-vêtements. C’est toutefois en réflexion... mais je n’en dirais pas plus.

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