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28 avr. 2011
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L'Inde fait rêver le luxe

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28 avr. 2011

En France comme ailleurs, marques de luxe et agences de conseils planchent sérieusement sur le marché indien. Partie des "BRIC" (Brésil, Russie, Inde et Chine), projeté par les experts comme le 5e pays en nombre de consommateurs en 2025, le pays représente un potentiel de croissance qui laisse rêveur bon nombre d’investisseurs: la manne financière pour le luxe se chiffrerait selon les analystes à dix milliards d’euros en 2015 (source A.T. Kearney), avec une demande pour les produits et services "4 étoiles" en hausse de 120 à 150%. En clair, à l’instar de territoires voisins, l’Inde contient tous les ingrédients pour une nouvelle "conquête de l’Est". Sur le papier... Car dans les faits, la recette ne semble pas aussi évidente pour les géants du secteur et, depuis une dizaine d’années, ces derniers avancent à pas de velours sur le marché.


Le centre commercial dédié aux marques de luxe Emporio Mall à Delhi - DR

D’après Altagamma, association des entreprises du luxe italiennes, sur 500 griffes internationales répertoriées, seules 150 seraient introduites sur le territoire - contre 350 en Chine aujourd’hui - avec une forte dominante dans le domaine horloger et joaillier (47%) et des marques de prêt-à-porter et d’accessoires qui ne sont représentées qu’à 14%. Pourquoi donc cette "résistance", cette difficulté à s’introduire sur le marché indien ?

Généralement, barrières tarifaires à l’entrée, forte taxation sur place et obligation de trouver un partenaire pour créer une société qui ne peut pas être constituée à plus de 51% de capitaux étrangers représentent aujourd’hui des "coûts fixes" dissuasifs pour la plupart des griffes. Reste que jusqu’à récemment, la Chine opposait, dans les grandes lignes, le même type de barrières. "Mais d’ici un an, un an et demi, les entreprises étrangères devraient pouvoir posséder 74% des joint-venture, précise Alain Bogé, consultant et ancien chef d’entreprise qui accompagne une mission de la fédération du prêt-à-porter sur place début mai. Économiquement, les droits de douane ont aussi largement baissé. Je suis convaincu que c’est le marché d’avenir avec un niveau de vie qui augmente lentement mais régulièrement depuis 1991. Il y a trois millions de ménages qui vivent dans le luxe et 50 millions de riches. En revanche, la patience est indispensable. L’Inde est un marché difficile culturellement, avec de grandes différences géographiques, où le rapport au temps est différent".

Les marques occidentales doivent donc intégrer quelques bases avant d’entamer une relation commerciale avec des entreprises indiennes. "Il faut comprendre que la religion imprègne tous les rouages de la société indienne, explique Aude Jacques Le Seigneur, consultante de CFP Asie. Et pour les Hindous, le monde est une apparence, l’homme doit donc se libérer des contingences matérielles. La perception du monde est cyclique. Si l’on manque quelque chose, cela reviendra plus tard. Là où le Français cherche le pourquoi, l’Indien se demande comment. Ajoutez à cela, la famille qui est le ciment de toute réussite. Tous les Indiens font partie d’un réseau avec un chef de famille. C’est pourquoi 90% des sociétés privées indiennes sont familiales. Au sein de celles-ci, les membres de la famille ont des fonctions importantes mais l’entrepreneur occidental doit trouver les personnes compétentes dans l’entreprise et traiter avec elles sans froisser la hiérarchie officielle".


Hermès a su s'adapter au marché indien - Photo: Hermès 2008
D’où la particularité du marché indien. "L’Inde est entrée depuis ces dernières années dans une phase de mutation", expliquait Max Jean Zins, directeur au CNRS du Programme de Coopération en Sciences Sociales entre la France, l’Inde et les pays d’Asie du Sud à l’occasion des rencontres du Club Luxe de l’Adetem. Et, dans cette mutation, l’attrait pour les marques de luxe ne se dément pas. "Depuis cinq ans que je suis sur ce marché, j’ai remarqué un véritable développement des infrastructures pour le luxe, explique François Arpels, managing director pour Bryan Garnier&Co et responsable des opérations et transactions sur le marché indien pour des marques de luxe. L’immobilier étant très cher en centre-ville, le luxe s’est développé dans des centres commerciaux de périphérie qui offrent tout le confort et la sécurité. L’e-commerce se développe fortement avec quatre sites fashionandyou.com, 99labels.com, brandmile.com et theprivatesales.com. Il y a surtout une réelle appréciation de la qualité en Inde avec une très forte tradition autour de la confection d’étoffes".

Et Véronique Polès, consultante spécialiste de l’Inde, d’ajouter à l’occasion des rencontres du Club Luxe de l’Adetem que "d’arriver avec une pure réplique de ce qui est vendu en Occident serait une grave erreur". De plus, à toutes fins utiles, près de 60% des achats de luxe seraient réalisés par des hommes.

Depuis le milieu des années 2000, LVMH observe d’ailleurs les marques locales. Le groupe en aurait répertorié une centaine d’après Daniel Piette, PDG de L Capital France. Des marques qui, à l’instar de la chaîne joaillière Gitanjali récemment rachetée par le numéro un du luxe, ouvrent des portes sur le marché indien. Pour Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH, "nous sommes à un moment charnière. Cinq ans en arrière, c’était peut-être trop tôt, notre développement aurait été prématuré. Dans cinq ans, ce sera peut-être trop tard. Nous sommes au bon moment".

De fait, si Hermès est une des pionnières dans la région, c’est parce que la maison du Faubourg a su rapidement établir un lien privilégié avec la culture locale. Soie, imprimés, parfums mêlent les références avec les goûts et affinités de la population. "Hermès a travaillé ce positionnement avec des artisans indiens, explique François Arpels. De plus depuis 2007, Hermès est en partenariat avec la famille Khanna qui détient la chaîne Oberoi. Je pense qu’il y avait une véritable cohérence à signer dans l’hôtellerie haut de gamme avec un art de vivre en adéquation avec l’image d’Hermès. Hermès est aussi la première marque internationale à ouvrir un magasin de centre-ville. Ce n’est pas dans la culture indienne, mais le quartier, assez proche du Taj Mahal, avec des boutiques de décoration, le concept-store Bombay Electric et un grand nombre de grands hôtels possède tous les atouts pour devenir le triangle d’or de la ville". Nul doute que les autres acteurs vont observer de très près les résultats de cette implantation.

Certains ont d’ailleurs déjà suivi Hermès dans sa stratégie de penser global et d’agir local. Marc Jacobs a créé une collection capsule "sari" pour l’Inde, Montblanc a lancé la collection Gandhi. Enfin, autre point très important la "mall mania". En 2007, 3 villes, Mumbai, Dehli et Kolkata, concentraient la consommation indienne. Aujourd’hui, Véronique Polès conseille de "se lancer hors des très grandes villes". Il existe 35 cités de plus d’un million d’habitants, une vingtaine de villes potentielles seraient répertoriées pour l’implantation d’une marque de luxe.

Emilie-Alice Fabrizi et Olivier Guyot

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