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L'Industrie française de l'ennoblissement : déclin incontournable ou tournant stratégique ?

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25 mai 2010

D’après l’étude réalisée par l’IFM en 2009 pour la Fédération de l’Ennoblissement Textile (FET)




Comme son nom le suggère, l'ennoblissement dans la mode et la décoration a vocation à transformer un écru en un produit désirable, apportant la couleur, la nouveauté et le rêve, sans oublier la douceur des touchers à laquelle les consommateurs sont de plus en plus sensibles. Dans les textiles techniques, l'ennoblissement apporte aux supports les propriétés fonctionnelles répondant aux besoins croissants de nos sociétés en matière notamment de santé, de sécurité et de mobilité.

Une activité complexe, difficile à suivre statistiquement, au cour de la valorisation des textiles

L'ennoblissement est difficile à suivre statistiquement du fait de la complexité des activités (blanchiment, teinture, impression, enduction, apprêtage…) et des métiers concernés : les sous-traitants et les " forfaitiers" (industriels achetant des écrus pour les ennoblir en proposant leurs propres collections) sont bien identifiés mais les entreprises intégrées verticalement en filature, en tissage ou en tricotage voient leurs opérations d’ennoblissement comptabilisées logiquement avec leur activité principale. Enfin, les converteurs (ou éditeurs) ne possèdent pas d’outil de production et sont pour certains intégrés dans les statistiques du commerce de gros. Aussi les indicateurs moyens ont-ils peu de sens.

Le décompte brut des entreprises industrielles de plus de 20 salariés spécialisées dans l’ennoblissement se situait autour de la centaine en 2007, avec environ 6000 emplois selon l'INSEE (7300 selon l’UNEDIC incluant les petites unités de moins de 20 salariés), pour un chiffre d’affaires de moins de 700 millions d’euros. La prise en compte des intégrés et des fabricants de textiles techniques conduit à une estimation plus proche de 10 000 emplois concernés par l'ennoblissement.

Un secteur menacé par une crise sans précédent

Le déclin était largement amorcé avant la crise : entre 1997 et 2007, l'ennoblissement français a perdu 10 000 emplois en France, selon l'UNEDIC, tandis que le chiffre d'affaires diminuait de 40 % au cours de cette même décennie. En Europe, tous les grands pays ont subi des baisses de régime mais l'Italie domine clairement ses concurrents tant par ses effectifs (plus de 30 000 emplois) que par son chiffre d'affaires. La France arrivait au début des années 2000 en seconde position en termes de chiffre d’affaires mais elle a été supplantée en 2003 par l’Allemagne, puis en 2007 par l'Espagne dont les ennoblisseurs ont subi des diminutions d'activité moins prononcées que leurs homologues français. Les causes de la baisse tendancielle de l'ennoblissement européen sont bien identifiées : les grands donneurs d'ordres ont massivement orienté leurs achats de vêtements vers l'Asie. Mécaniquement, le textile amont a suivi le déplacement de la confection. Les pays de l'Europe du Sud ont été un peu protégés par une distribution moins concentrée et l'Allemagne a su très tôt réorienter son industrie textile vers des produits techniques à valeur ajoutée.

Si l'année 2007 a pu apparaître comme relativement favorable pour l'ennoblissement français, la crise a tout balayé à partir de 2008. En 2009, la baisse de la production a atteint 20 % et l'année 2010 a démarré difficilement même si une relative embellie est observée au printemps.

Une faiblesse majeure de l'ennoblissement français tient à son morcèlement en petites entreprises travaillant à façon. Le métier de façonnier conduit les chefs d'entreprises et leurs équipes à privilégier une approche court terme en réponse aux sollicitations des donneurs d'ordres, cela au détriment d'une vision sur les marchés finaux et d'une attitude proactive de co-création. En partie liée à la première, la deuxième faiblesse structurelle du secteur a trait à son faible taux d'exportation, comparé à celui observé dans d'autres pays européens (en moyenne 24 % pour les plus de 20 salariés contre plus de 30 % en Europe). Ce taux a du reste fortement baissé depuis le début des années 2000 (33 %), et ne dépasse pas 11 % chez les façonniers.

En troisième lieu, l'ennoblissement français a probablement pâti de la force de la grande distribution française, qu'il s'agisse des hypermarchés ou des chaînes spécialisées du mass market. Dès les années 80, cette caractéristique hexagonale a conduit les fabricants textiles à adopter une stratégie de volume et de compétitivité prix. Conjugué à la faiblesse précitée de l'ouverture sur les marchés étrangers, ce poids "de l'histoire" a également contribué à freiner le développement de niches et de spécialités qui ne trouvent leur rentabilité que sur un marché mondial, l'industrie textile allemande étant un bon exemple de ce positionnement.


Des pépites de développement et un foisonnement de nouvelles technologies en devenir


Au niveau général de l'Europe, certains segments semblent résister au "tout Asie" : le luxe, la mode rapide en circuit court, le textile technique et la personnalisation. Les dernières années se sont en outre caractérisées par un foisonnement de nouvelles technologies qui devraient impacter l'industrie de l'ennoblissement du futur : impression numérique, teinture par CO2 super critique, micro encapsulation, nanotechnologies et autres finitions plasma. Certaines de ces technologies deviendront probablement majeures dans la décennie prochai,e, et si les pionniers essuient dans certains cas les plâtres, les retardataires sont souvent condamnés. Un exemple est celui de l'adoption de techniques d’impression digitale, dont le marché en Europe dépasserait 5 millions de mètres par an, dont 45% en Italie, plus de 20% en Allemagne et moins de 10% en France !

De surcroit, beaucoup des évolutions technologiques en cours s'inscrivent dans une démarche de développement durable. Grand consommateur d'énergie et de substances chimiques, l'ennoblissement pourrait constituer l'un des fers de lance d'une industrie européenne de proximité, innovante et propre.


Une sortie de crise par le haut ?


La marginalisation de l'ennoblissement hexagonal constitue une menace pour toute la capacité créative des marques françaises. Aussi faut-il consolider la capacité existante tout en favorisant les restructurations du secteur pour que se développent deux types d'entreprises : en premier lieu, les acteurs ayant la taille critique pour assurer une rentabilité satisfaisante (comme cela est le cas en Allemagne par exemple) : plus de 10 millions de mètres dans les marchés de volume et plus de 5 millions de mètres pour les marchés de niche. Il faut aussi encourager les microentreprises (moins de 1 million de mètres) réactives et/ou disposant de savoir-faire uniques, et fonctionnant en réseau à l'image du tissu industriel italien.

Parallèlement, et cela a maintes fois été évoqué pour les textiles d'habillement et d'ameublement, il faut encourager les soustraitants dans l'acquisition de nouvelles compétences : les démarches marketing et commerciales, la connaissance des matières et des circuits d'approvisionnement amont, ainsi que des produits finis en aval. Au niveau industriel, des points d'amélioration sont à trouver sur la question de la réactivité et du traitement des petites séries, ainsi que sur celle de la constance qualitative et de la reproductibilité (indispensable notamment pour aborder les textiles techniques). Enfin, l'orientation vers les produits à haute valeur ajoutée et l'apprentissage des technologies en devenir nécessitent l'intégration de nouvelles compétences en dehors des métiers du textile - telles la chimie, la mécanique, la biologie ou la pharmacie…- assurant l'hybridation et la crossfertilisation des savoirs : beaucoup de débouchés et de produits de l'ennoblissement dans la décennie à venir sont en construction, voire ne sont pas du tout connus aujourd'hui ! Enfin, l'ennoblissement français doit davantage communiquer sur ses engagements en termes de développement durable, répondant aux exigences croissantes d'information et de sécurité exprimées par les consommateurs.

Les pouvoirs publics chinois font de la montée en gamme une condition stratégique à terme pour leur industrie textile-habillement. A l'heure où les prix des matières premières flambent, où les donneurs d'ordres ont exploré la quasitotalité des zones de sourcing à faible coût de main d'oeuvre (mis à part peut être l'Afrique) et où de nouvelles technologies et de nouvelles fibres pourraient bouleverser les applications textiles, la voie de la créativité et de l'innovation est la seule possible. C'est la condition pour que les tumultes traversés par l'ennoblissement français constituent une sorte de catharsis, initiant un tournant stratégique pour le secteur et non le déclin incontournable que certains augures de la désindustrialisation européenne lui prédisent !

EVELYNE CHABALLIER

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