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1 juin 2023
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L'Europe adopte un texte pour une mode durable qui échoue à convaincre ONG et industriels

Publié le
1 juin 2023

Le Parlement européen a adopté le 1er juin des recommandations visant à rendre l’habillement plus durable au sein de l’Union européenne. Un texte qui n’a convaincu ni les ONG ni les professionnels européens du textile-habillement.


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Le document, voté par 600 élus contre 17, entend poser le cadre légal d’une mode plus facilement réutilisable, réparable et recyclable. Est également posée la notion de respect des droits humains, droits sociaux et droit du travail tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que la défense de l’environnement et du bien-être animal. 

Mais l’un des points qui retiendra sans nul doute l’attention du grand public est la volonté de voir l’UE adopter des mesures destinées à “mettre un terme à la mode éphémère”. La fast-fashion est ainsi évoquée dans le texte final, à l’heure où Shein, la marque chinoise à production courte, est largement critiquée, considérée comme l’aboutissement de ce modèle de production à bas coût et bas prix.

"Les consommateurs ne peuvent pas à eux seuls réformer le secteur textile mondial par leurs habitudes d’achat”, pour la rapporteuse du texte, l’eurodéputée allemande Delara Burkhardt. “Si nous laissons le marché s’autoréguler, nous laissons la porte ouverte à un modèle de "fast fashion" qui exploite les individus et les ressources de la planète. L’UE doit obliger légalement les fabricants et les grandes entreprises de mode à opérer de manière plus durable. Les personnes et la planète sont plus importants que les profits de l’industrie textile.”.

Ce texte est l’aboutissement d’une feuille de route parlementaire initiée début 2021, et qui avait donné lieu en mars 2022 à la présentation par la Commission européenne d’une “Stratégie de l'Union européenne pour des textiles durables et circulaires”. Une démarche ayant notamment l’ambition de tirer les leçons de faits marquants liés au secteur textile, comme l’effondrement de l’usine Rana Plaza au Bangladesh, la croissance des décharges textiles au Ghana et au Népal, ou encore la pollution de l’eau et les micro-plastiques dans nos océans, 

Des failles persistantes dans le texte



Dans un communiqué commun, neuf ONG et organisations syndicales* voient dans ce texte “une étape importante vers l’adoption d’une directive sur le devoir de vigilance”. Mais elles déplorent néanmoins les “graves lacunes” de ce texte, dont le vote aurait fait l’objet d’une pression croissante de la part du secteur privé.


Au premier plan, l'Eurodéputée allemande Delara Burkhardt - Parlement Européen



Le texte adopté est donc loin d’être à la hauteur des enjeux en dépit de certaines avancées par rapport au texte initialement proposé par la Commission européenne, obtenues notamment grâce aux efforts soutenus de député·e·s progressistes. Des propositions clés qui auraient permis de faciliter un accès effectif à la justice ont été supprimées, telles que le renversement de la charge de la preuve. Une mesure pourtant indispensable pour remédier au déséquilibre du rapport de force entre les multinationales et les communautés ou travailleur·se·s affecté·e·s.

Les ONG jugent par ailleurs que le texte serait également affaibli concernant le secteur financier et la responsabilité civile des entreprises. “Des lacunes inacceptables pour les personnes et communautés affectées, alors que les violations des droits humains et les dommages environnementaux causés par les activités des multinationales ne cessent de se multiplier”, pour les signataires.

Non-respect de l'équilibre

 durabilité/compétitivité

Du côté des industriels textiles de la confédération Euratex, le texte a pour tort premier de ne pas reconnaître le rôle stratégique du secteur textile en matière de durabilité et de circularité. Pire: les députés n’auraient pas pris en compte la menace concurrentielle mondiale à laquelle les 160.000 entreprises textiles de l’UE doivent se confronter, tout en s’engageant parallèlement dans leur transition vers plus de durabilité. Pour la filière, en fixant la barre trop haut, Bruxelles pourrait évincer les acteurs européens du marché, dopant alors l'empreinte environnementale du secteur des importations accrues.

“Nous nous félicitons de l'intérêt marqué du Parlement européen pour l'industrie du textile et de la mode, mais nous encourageons les députés à développer une vision équilibrée qui concilie durabilité et compétitivité”, tempère néanmoins Dirk Vantyghem, directeur général d’Euratex, dans un communiqué réaffirmant un soutient à la "EU Textile Strategy" voulue par Bruxelles. “Le développement d'un nouveau modèle commercial pour notre industrie nécessite une législation soigneusement élaborée au niveau mondial et un dialogue ouvert entre l'industrie, les marques et les consommateurs.”.


Archivo


La confédération n'en pointe pas moins que ce vote ne tient pas non plus compte de la situation économique actuelle. L’industrie textile doit en effet s’adapter à des prix élevés concernant l’énergie, tandis que les consommateurs finaux frappés par l’inflation perdent en confiance. Il est par ailleurs reproché au rapport de ne pas faire la distinction entre les produits textiles, mélangeant mode et textiles techniques, productions européennes et non européennes, haut de gamme et bas de gamme. Euratex se satisfait néanmoins que le texte mette l’accent sur l’importance de l’innovation et de la formation dans les années qui viennent.

Vers des négociations complexes



Maintenant que les eurodéputés ont adressé leurs recommandations à la Commission européenne, s’ouvre maintenant une nouvelle étape législative de négociations interinstitutionnelles. “Ces négociations dites “trilogues” s’annoncent compliquées en raison de l'opacité du processus, facilitant les manœuvres des lobbies, et la pression de certains États Membres hostiles au texte”, avertissent d’ores-et-déjà les ONG. 

Cette future étape consiste à réunir
les représentants du Parlement, de la Commission, et du Conseil de l’Europe. Si aucun calendrier précis n'est pour l'heure communiqué, le processus pourrait encore prendre de longs mois avant d'aboutir.


*Actionaid, Les Amis de la Terre, CCFD Terre Solidaire, CGT, Collectif Ethique sur l’Etiquette, Notre Affaire à Tous, Oxfam, Reclaim Finance et Sherpa

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