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6 nov. 2020
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La nouvelle génération de stylistes donne un sens politique à la mode

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6 nov. 2020

Jamais comme en cette année, la jeune création n’a fait entendre sa voix aussi haut et fort. Une voix puissante, malgré la précarité des designers qui se trouvent en première ligne face à la crise liée à la pandémie. Presque un cri, qui a émergé cette année des grands concours de mode, avec la même intensité du Festival de Hyères à l’ITS, portant notre attention aux urgences du moment, de la sauvegarde de notre planète à la discrimination des minorités. C’est une nouvelle génération de créateurs qui s’esquisse, bien décidée à se faire entendre.


Un modèle de Tom Van Der Borght, vainqueur du grand prix mode du Festival de Hyères - DR

 
Le développement durable devient un élément toujours plus présent, pour ne pas dire incontournable. Fondatrice du mouvement Fashion Revolution, Orsola de Castro, styliste engagée de la première heure, confirme cette évolution: "Chaque année, les créateurs vont de plus en plus à fond dans la recherche et les processus durables à travers l’upcycling, l’économie circulaire ou les bioplastiques, car la situation ne fait qu’empirer. La conscience autour de la crise climatique et l’impact de l’industrie de la mode sur la planète sont devenus un argument commun. Les solutions les plus durables se fondent désormais dans le design."
 
Ce qui surprend, c’est la manière dont ce thème est en train de devenir le message porteur de la mode, intégrant tous les processus dès le lancement d’une marque. "Avant il y avait les digital natives. Maintenant, il y a les sustainable natives. Alors qu’auparavant, l’écologie était surtout une affaire de communication, aujourd’hui on perçoit vraiment une prise de conscience de la part des jeunes créateurs", analyse Luca Rizzi, le responsable de la division Tutoring & Consulting de l’organisateur de salons italiens Pitti Immagine.

"Ils sont même déjà très actifs en matière de durabilité, alors que les écoles de mode débutent à peine sur ce terrain. Le monde de la mode n’est plus frivole, c’est un moyen de s’exprimer de manière disruptive, un véhicule pour transmettre un message positif à travers lequel ils arrivent à toucher directement les autres jeunes", continue-t-il. "La mode n’est plus là juste pour commenter des faits de société, mais pour agir et faire changer les choses", enchérit Stavros Karelis, fondateur de l’enseigne londonienne Machine-A, qui a participé pour la première fois cette année au jury de l'ITS.

"Qui ne comprend pas le moment que nous sommes en train de vivre est destiné à disparaître"


 
"Le beau produit ne suffit plus. Certes les créations doivent rester désirables, mais elles introduisent aussi désormais un vrai propos social ou une pensée politique. Beaucoup de stylistes parlent de l’écologie, de l’inclusivité, des thèmes LGTB, etc. Ils réfléchissent de plus en plus au sens de leur démarche et comment le traduire à travers leurs collections. Jusqu’ici les marques affichaient leur engagement sur tel ou tel thème, mais cela ne se voyait pas dans les collections. Aujourd’hui, ces convictions transparaissent concrètement dans le produit", remarque-t-il.
 
Le constat de Stefano Martinetto, CEO de l'agence Tomorrow London Holdings, qui propose aux designers une plateforme multiservices (production, distribution, marketing et communication), est encore plus radical. "Qui ne comprend pas le moment que nous sommes en train de vivre est destiné à disparaître. Les publicités avec les top-modèles blondes shootées dans les artères du luxe font partie du passé. Un directeur artistique doit avoir un point de vue politique."


Cameron Williams prône une nouvelle image de l'identité africaine - ITS2020


"De fait, cette nouvelle génération ne manifeste plus de timidité politique. Les néo-stylistes sont tous bien conscients de la fragilité de la planète. Ce qui avant était une tendance est devenu aujourd’hui une condition préalable à la création, comme s’assurer une chaîne de production responsable ou traiter de l’inclusivité raciale, morphologique ou culturelle", estime le manager.

"Ils ne sont pas là pour faire de beaux vêtements, mais pour avoir un point de vue sur le monde"



"Alors que nous avons tendance à théoriser certains concepts, les designers émergents les embrassent de manière transversale. L’inclusion, ils la vivent à part entière. Ils se sentent des citoyens du monde, tout en restant proches de leurs origines", note Barbara Franchin, qui a fondé l’International Talent Support (ITS) en 2002. "L’aspect communautaire est très important", souligne à son tour le créatrice française Christelle Kocher, également membre du jury du concours de Trieste cette année, qui cite notamment le travail remarquable du jeune styliste anglais Cameron Williams autour de ses origines et de l’identité africaine.
 
"Ces jeunes sont très créatifs. Ils ne veulent pas se contenter de faire juste un projet commercial. Très conscients de ce qui se passe dans le monde, ils ne sont pas là pour faire de beaux vêtements, mais pour avoir un point de vue sur le monde, durable, communautaire et social, qui se reflète dans leur travail. Il y a une réelle bienveillance pour la planète, à travers des productions artisanales ou le recyclage. La mode redevient sous leurs doigts une belle valeur mettant en avant des notions telle la solidarité", poursuit la fondatrice de la griffe Koché.
 

S'adresser à une communauté plutôt qu'à tout un chacun



Stefano Martinetto met en avant aussi la notion de communauté, qui caractérise fortement le mode de fonctionnement des nouveaux labels: "Les marques généralistes qui s’adressent à tous, ça n’existe plus. Le designer actuel doit savoir se rapporter à une communauté de consommateurs de référence, avec laquelle il dialogue et partage le même langage. L’époque est aux marques s’exprimant d’une seule voix avec un système de valeurs beaucoup plus précis, presque politique." Luca Rizzi. abonde: "Il y a un lien très fort avec sa propre communauté, les stylistes créent en restant proches de leur consommateur."
 
De Tom Van Der Borght, vainqueur du Grand Prix du Festival international de mode de Hyères avec ses vêtements fabriqués en matériaux recyclés "dont personne ne veut", à Olivia Rubens, qui a remporté le premier prix du concours de Trieste ITS dans la catégorie mode, affichant haut et fort son engagement social et responsable, les créateurs qui débutent sur le marché aujourd’hui semblent situés à des années lumières de leurs aînés.


Un engagement social et durable caractérise le travail d'Olivia Rubens, gagnante de l'ITS - ITS2020

 
"Ils font preuve d’une grande maturité, nettement plus que par le passé. Ils continuent à rêver certes, mais sont beaucoup plus réalistes. Ils savent qui ils sont, avec chacun une forte identité", constate Barbara Franchin. "J’ai été surprise de la manière, dont les finalistes se sont racontés cette année en confiant leurs histoires familiales, leurs souffrances et traumatismes, qu’ils ont transformés en force de propositions créatives".

Ne plus cacher son histoire, ses peines, ses combats, ses difficultés, mais au contraire les transcender


 
Les exemples récents concernant cette plongée dans l’intimité des jeunes créateurs ne manquent pas. A l’instar du vainqueur de Festival de Hyères, Tom Van Der Borght, qui lutte contre une maladie dégénérative, ou de la lauréate de l'ITS Olivia Rubens, victime d’intimidations, tandis qu’un autre finaliste a fait état des abus sexuels subis dans son enfance.
 
Certains voient dans la pandémie du Covid-19 le moteur qui a généré cette introspection sans précédent. "J’ai été frappé par la manière dont ce virus est entré dans l’esprit de ces jeunes, en voyant à quel point ils ont regardé à l’intérieur d’eux-mêmes par rapport à ce qu’ils faisaient jusque-là. Cela les a amenés à travailler sur leurs valeurs émotionnelles. Il y a eu vraiment une profonde analyse intérieure, qui a débouché sur une maturité jamais vue jusqu’ici, avec un niveau de réalisation très élevé", observe Luca Rizzi.
 
"Dans les grands concours de mode, on s’attend à une forte créativité. Mais je n’avais jamais vu un tel niveau d’exécution, de connaissances et d’expertises à tous les niveaux, des idées, à la recherche dans les matières, aux processus techniques mis en place, etc.", s’enthousiasme également Stavros Karelis, qui ajoute: "Si je peux me permettre, confinement et Covid ont été un grand stimulant. Concernant la création, le résultat a été brillant."


La basket du futur réalisée dans une nouvelle matière totalement propre par Felipe Fiallo - ITS2020

 
Les propositions des finalistes des différents concours ont laissé voir notamment un grand travail sur les matières avec beaucoup de fait main et d’expérimentations via l’invention de nouvelles textures et techniques, ou à travers la revalorisation de traditions abandonnées, mais aussi une réflexion autour des processus, et sur comment transformer les déchets et les recycler de manière viable.
 
La maille, en particulier, permettant un approvisionnement plus contrôlé de la matière première, a offert un terrain fertile d’explorations en tous genres. Un secteur où l’on peut innover et qui se prête à l’économie circulaire.
 
Autre tendance en hausse, la notion de protection et soin du corps avec des vêtements ou des accessoires qui confèrent un certain bien-être. A l’instar des chaussettes procurant des auto-massages pensées par l’Irlandaise Rebecca, finaliste de l’ITS dans la catégorie des accessoires.

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