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23 mars 2022
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Le défi de la création de nouvelles matières pour les acteurs de l'alternative à la fourrure animale

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23 mars 2022

Depuis des années, l'utilisation de la fourrure animale est source de polémique dans l'univers de la mode et du luxe. Les campagnes et actions contre l'utilisation de la peau d'animaux sont montées en puissance ces dernières décennies et la question du bien-être animal a, bien au-delà des activistes, capté l'intérêt de plus en plus de consommateurs.


Géraldine Vallejo de Kering, Iris Douzet de Peta, Barbara Curto de l'Atelier Chardon-Savard et Arnaud Brunois, d'Ecopel - Fnw


De son côté, l'industrie de la fourrure entend répondre à ses préoccupations en développant des labels, comme Welfur, concernant le traitement des animaux, mais le contexte a dynamisé le marché de la fausse fourrure. Mi-mars, une conférence réunissant le groupe Kering, l'association Peta, l'Institut Chardon-Savard et la société Ecopel, organisatrice de l'évènement, visait à mettre en avant les avancées et défis de ce secteur.

"Le mouvement No fur, qui s'est considérablement développé et a su impliquer les acteurs de la mode et du luxe a été un accélérateur, explique Christopher Serfati, PDG d'Ecopel qui revendique un chiffre d'affaires de près de 100 millions d'euros en 2021. Grâce aux progrès de l'industrie et aux nouvelles technologies, nous avons l'ambition de proposer une fausse fourrure incontournable dans le haut de gamme. Cela passe par de nouveaux développements pour créer la fourrure du futur avec des matières issues de fibres naturelles".

La distance que prennent de plus en plus les acteurs du monde du luxe vis à vis de la fourrure animale représente l'atout maître pour les industriels de la fausse fourrure. Kering a ainsi entamé cette stratégie dès 2017 avec des marques qui ne proposaient que très peu de produits avec de la fourrure.  "Les temps changent, la société aussi et la définition de ce qui est luxueux avec, explique Géraldine Vallejo, directrice des programmes en développement durable Kering. Les jeunes générations ont des convictions très fortes sur ces sujets. M. Pinault a commencé un dialogue sur ce thème, mais toutes les marques n'ont pas avancé au même rythme. Durant la pandémie, il y a eu ce coup de projecteur sur l'abattage de visons et cela a accélérer les choses. Bien sûr, il faut que les directeurs artistiques conservent leur liberté de créer, mais c'est plus facile de convaincre car il existe des alternatives de grande qualité. L'avantage c'est que certaines maisons remplacent la fourrure par des matières qui lui ressemblent et d'autres vont travailler la matière différemment. Cela ouvre l'univers des possibles".

"Nous avons des centaines de références avec de nombreuses longueurs de poil, des couleurs sobres ou exubérantes, des imprimés explique Arnaud Brunois, directeur communication et développements durables d'Ecopel. Les possibilités créatives sont très vastes et vont bien au-delà de la matière animale. En termes de performance, des études ont montré que la protection contre le froid pouvait être équivalente à de la fourrure animale. En ce qui concerne sa durée de vie, elle est d'une dizaine d'années pour les fausses fourrures, contre une trentaine d'années pour un manteau en vison bien entretenu. Cela signifie entretenu dans une chambre froide pour protéger la fourrure, ce que tout le monde ne se permet pas".

A l'instar de Kering, de nombreuses marques haut-de-gamme se désengage de l'utilisation de la fourrure animale. "Nous estimons que la fourrure est dans une spirale négative et qu'elle ne se relèvera pas, expliquait Iris Douzet, de l'association de défense des animaux Peta. Les enquêtes dans les élevages ont énormément sensibilisé les gens. La loi sur la maltraitance animale et les textes contre l'élevage d'animaux sauvages pour leur fourrure sont des avancées. Mais il reste des élevages d'orylag et d'angora. Donc nous continuons de pousser contre l'utilisation de la fourrure. Car ce n'est pas glamour. Et d'ailleurs ce n'est pas que du luxe, cela peut être des pompons pour des bonnets ou des petites produits vendus 5 euros faits à partir de peaux qui viennent majoritairement de Chine, parfois des chats et des chiens".

C'est aussi pour cela que les formations prennent de plus en plus en compte ces questions de la provenance des matières et de leur achat, non seulement dans la formation des créatifs mais aussi des différents professionnels amenés à évoluer dans les maisons de mode. "Pour nos étudiants ces questions sont une évidence. Et pour la plupart il n'est pas question de travailler avec une marque qui ne prend pas en compte les questions de bien-être animal, précise Barbara Curto directrice des établissements Atelier Chardon Savard. Mais les managers et chefs de produits doivent être plus spécifiquement formés a la mode éthique. Nous enseignons la technologie textile à nos étudiants. Nous décryptons la composition et la provenance des matières".

Développer les alternatives au pétrole



Cette provenance des matières devient essentielle dans un secteur de la mode et du luxe où le consommateur demande de plus en plus de transparence. Kering ne travaille à présent plus avec de la fourrure animale. En revanche il devient de plus en plus vigilant sur la composition des matières alternatives.

"Nous avons des objectifs à l'horizon 2025, explique Géraldine Vallejo. Le choix d'arrêter la fourrure est un parti pris éthique, mais chaque matière a ses avantages et ses inconvénients. Il y a des enjeux sur les matières synthétiques, les teintures utilisées, les différents critères environnementaux... L'acrylique et le modacrylique posent des problèmes car il n'y a pas de recyclage possible et les matières dégagent des toxines en fin de vie. L'idée n'est pas d'arrêter la fourrure pour faire du 100% synthétique. Nous formons les maisons sur les opportunités et nous travaillons avec les différents acteurs pour avancer dans les alternatives".

Car si l'industrie de la fourrure subit de plein fouet les campagnes des associations anti-fourrures, le challenge pour les acteurs de la fausse fourrure va être de proposer des produits plus responsables : comprenez qui se détachent de l'industrie du pétrole. 

"Notre idée dès la naissance de l'entreprise était de créer une stratégie permettant de proposer une alternative à la fourrure animale, explique Arnaud Brunois. Il nous est parfois reproché de résoudre un problème mais d'en créer un autre. Le synthétique existe encore et pour l'instant on ne peut pas s'en passer. Pour s'en sortir, il faut avancer dans  le recyclage, la biofabrication, la création de matière à partir de déchets végétaux comme le maïs ou la canne à sucre. C'est très intéressant de faire des monomères et polymères avec des résidus végétaux. Pour l'instant ces matériaux, réalisés par exemple avec Dupont, sont un mélange de matières. Mais d'ici deux à trois ans nous comptons pouvoir proposer des générations de biofabriqués. Nous travaillons le chanvre, avec notre unité française Peltex, mais aussi l'ortie, le plastique récupéré des océans... Nous sommes dans une phase de transition. Nous avons une offre de 30% de matières plus vertueuses, contre 0% il y a à peine quelques années".

Fort des attentes d'un marché qui cherche des alternatives à certaines matières animales ou critiquées pour leur impact sur l'environnement, le développement de nouvelles solutions est regardé de très près par les acteurs de la mode et du luxe. Ecopel affiche sa confiance en la matière: son PDG a glissé qu'il s'apprêtait à racheter des unités de production en Espagne et en Italie.

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