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16 mars 2022
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Le marché du parfum face à l'équation complexe de la hausse des coûts

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16 mars 2022

En 2021, en France, la catégorie parfums a été l’un des moteurs de la croissance de la beauté haut de gamme, enregistrant dans le réseau sélectif une hausse de ses ventes de 11% par rapport à 2020 (source NPD). Les raisons de ce succès? Le plaisir retrouvé de se parfumer et d’offrir des parfums après des mois de confinement. Mais si le marché a retrouvé des couleurs en 2021, il n’échappe pas à l’inflation. Hausse des coûts des transports et de l’énergie, mais également des matières premières et des packagings: c’est toute sa chaîne de valeur qui est impactée par l’augmentation des prix.


A travers le monde la demande en parfums augmente - Shutterstock


Chef d’orchestre de l’approvisionnement au sein de la maison de composition japonaise Takasago, Stéphane Zwaans est un homme de terrain et un expert du marché des matières premières pour l’industrie des arômes et parfums. Ce fin analyste de la situation précise, en préambule, que le marché de la parfumerie est une industrie qui se porte plutôt bien, et que l’envolée des prix est aussi conjoncturelle. "Il y a l’effet accordéon et redémarrage post-Covid. Huit milliards de personnes vivent sur terre et ont des besoins. La demande a été ralentie pendant deux ans et elle reprend soudainement", indique-t-il.

La hausse de la demande, Philippe Benacin, PDG du spécialiste français des parfums sous licence Interparfums, l’a aussi évoquée le 1er mars dernier lors de la publication des résultats 2021 du groupe, soulignant notamment l’éveil de l'intérêt des Chinois pour les parfums. Un marché chinois qui, en 2025, pourrait devenir le second marché mondial du parfum. Cette hausse de la demande mondiale se traduirait notamment par un embouteillage sur les lignes de production.

Des fournisseurs débordés par la reprise de la demande



"Chez certains de nos fournisseurs partenaires, il n’y a plus aucun achat possible sur l’année 2022. C’est notamment compliqué chez les fournisseurs de pompes, de verrerie… les agendas sont pleins. La seule façon d’avoir une place au planning, c’est un désistement. De notre côté, nous avons passé 100 millions de commandes sur le premier trimestre 2023. C’est une façon de faire un peu à l’aveugle", explique sans détour Philippe Benacin.

Si Interparfums a opéré au 1er février 2022 une hausse de ses prix de 4 à 5%, cela ne compenserait pas l’envolée des coûts, la hausse du prix des matières premières étant très erratique, de 1 à 40% selon les matériaux, indique Philippe Benacin, dont le groupe en 2021 a toutefois réalisé un chiffre d’affaires de 560,8 millions d’euros, en croissance de 15,8% par rapport à 2019.

Du côté de la maison française Sillages Paris, qui propose depuis 2017 des fragrances personnalisables via son site marchand, la hausse est particulièrement prégnante sur les packagings. "Le prix du papier a augmenté de 5 à 12% et celui du zamak (alliage d’aluminium) pour la fabrication des capots aussi", explique son fondateur Maxime Garcia-Janin. Pour parer à l’augmentation des coûts du packaging, la marque ne met plus d’étuis à ses parfums. "La situation nous permet aussi d’accélérer sur le volet écologique, car 85% de nos clients jettent leur étui de parfum".


Les carnets de commandes sont pleins dans les usines de parfums - Shutterstock



Synthétiques ou naturelles, les matières premières affichent des prix à la hausse



Du côté des matières premières, la hausse est due à celle du coût des transports qui connaît une forte augmentation, mais aussi à des problèmes météorologiques. Le citrus a par exemple subi les assauts des insectes.

Les matières de synthèse ne font pas exception à cette inflation des coûts. "Souvent les usines de chimie ont une part de business liée à l’activité parfum très faible, donc, vu la situation, ils privilégient d’autres secteurs avec de plus forts volumes", indique Maxime Garcia-Janin. Cette complexité d’approvisionnement en matières premières aurait également des conséquences sur le travail des parfumeurs qui, pour certains, éviteraient désormais au maximum les matières premières sous tension.

Chez Sillages Paris, on a essayé de maintenir les prix stables sur les six derniers mois, mais si les tarifs des gros formats sont restés pour l’instant inchangés, ceux des 15 ml sont finalement passés de 38 à 40 euros.

Du côté des Parfums de Marly, les prix ont également augmenté d’environ 5%. Cependant, pour son PDG Julien Sausset, cette hausse ne réduira pas l’appétit des clients pour les jus d’exception. "Nous sommes dans un univers du luxe et de la niche qui est en croissance. Cette croissance nous a d’ailleurs aidés à maintenir le niveau d’achat en jouant sur les volumes. De plus, dans l’univers de luxe, il existe une certaine élasticité des prix, même si elle a une limite", indique le PDG de cette marque de niche indépendante, qui souligne surtout le problème de l’allongement des délais de fabrication qui tournent désormais autour de 8 à 10 mois, contre 6 auparavant.   


Rangées d'orangers (Citrus Chinensis) près d'Antalya en Turquie - Shutterstock



Mais en dépit de la situation, Parfums de Marly, qui a conclu l’année 2021 sur un volume d'affaires de 177 millions d’euros contre 130 millions d’euros un an plus tôt, indique qu’il n’y aura pas de compromis sur la qualité des jus, qui reste centrale. "S’il faut payer, nous paierons plus cher", assure Julien Sausset.

L’incertitude la géopolitique pèse



La hausse des coûts est aussi d’ordre structurel. Stéphane Zwaans explique ainsi que les consommateurs, et plus largement la société civile, demandent plus de transparence et d’éthique concernant les produits utilisés. Et cette demande entraîne un surcoût, tout comme les différentes réglementations qui évoluent fréquemment.

La situation géopolitique entraîne aussi d’extrêmes fluctuations des prix. Des fluctuations d'autant plus importantes en ce moment avec la guerre en Ukraine.

"Les marchés n’aiment pas l’incertitude. Les tensions géopolitiques créent une bulle spéculative. Il faut malgré tout sécuriser l’approvisionnement des matières premières quel qu’en soit le coût", indique Stéphane Zwaans.

La fluctuation et la hausse des cours du pétrole a également un effet significatif sur le prix de revient des compositions parfumées.
D’abord parce que le pétrole et le gaz naturel sont utilisés comme matières premières pour la fabrication de molécules de synthèse spécifiques qui accompagnent les ingrédients naturels dans la création du parfum. Ensuite parce que l’énergie nécessaire à la fabrication de ces produits, à leur conditionnement et transport, provient des énergies fossiles. 

Mais certains acteurs du marché du parfum, comme Takasago, disposent d'outils pour travailler de manière plus responsable, raisonnée et contribuent sur le long terme à stabiliser les prix .  

"J’ai la chance de travailler pour un groupe japonais qui ne surréagit pas et cultive une vision à long terme. Par exemple, en s’approvisionnant directement auprès de producteurs individuels comme Takasago le fait en Indonésie avec le Patchouli depuis 40 ans via sa filiale locale. Ou encore en créant de la valeur ajoutée localement. A Madagascar, nous n’exportons pas seulement de la vanille brute, mais une partie est transformée directement sur place par Takasago Madagascar. Cette présence directe dans les pays d’origine permet de mieux comprendre les besoins des producteurs, d’anticiper les tendances et ainsi optimiser nos approvisionnements", conclut 
Stéphane Zwaans. 

La recherche et développement mais aussi les biotechnologies constituent aussi des solutions pour développer des alternatives via la chimie verte et ainsi s’affranchir de la volatilité de certaines matières premières et d’une dépendance à un marché de sourcing unique. 
 
 

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