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13 sept. 2019
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Les débats sur la mode engagée ont fait salle comble au Who's Next

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13 sept. 2019

En pleine réflexion sur la manière de repenser la mode, l'industrie affiche un souci croissant de l'empreinte qu'elle laissera. C'est ce qu'ont démontré lundi 9 septembre deux conférences tenues dans le cadre du salon parisien Who's Next. Ces tables rondes, dont le succès a mis à l'épreuve la capacité de l'espace de conférences, étaient ainsi respectivement dédiées à l'économie circulaire et la fin de vie des produits, et à la production locale et la sauvegarde des savoirs-faire. Mais les va-et-vient constants entre les deux thématiques ont surtout dessiné pour l'audience la silhouette future de la filière.


Un public attentif devant les intervenants de la conférence sur la mode circulaire. - MG/FNW


Et à l'heure où le gouvernement entend interdire les destructions d'invendus, des questions se posent. Emmaüs, qui collecte 60 % des vêtements jetés en France, se veut clair pour le sujet : « Il y a des marques qui vont se tourner vers nous, comme le font déjà certaines, mais nous n'avons pas vocation à vendre des produits neufs ou déstockés », explique Amandine Grimbert, en charge du développement des points de vente du réseau. « Vu les quantités impliquées, on ne va pas pouvoir tout prendre. C'est donc directement la conception des collections que les marques vont devoir revoir. »

Durée et durabilité

Même réponse du côté du BonCoin, qui a racheté l'an passé le spécialiste de la mode de seconde main VideDressing : « Nous allons ouvrir la catégorie mode aux vendeurs professionnels en octobre », annonce Anne Quemin, directrice de la communication du portail. « Mais nous allons le faire de manière raisonnée, afin de ne pas devenir un déstockeur car, par nature, nous sommes avant tout un acteur de l'économie circulaire. L'idée est de voir ce que ce genre d'ouverture peut donner pour nos utilisateurs », précise la responsable, qui indique que la puériculture représenterait déjà une part importante de l'offre.

Au-delà des invendus, sur les 624 000 tonnes de vêtements, linges et chaussures mis en vente en France chaque année, 38 % sont collectés en fin de vie. Parmi eux, 59 % sont réutilisés comme tels, et 41 % recyclés ou revalorisés. Mais la part du recyclage est destinée à prendre le dessus, souligne Adèle Rinck, responsable communication de l'organisme Eco-TLC, financé par les marques pour gérer la fin de vie des produits. « Avant d'en arriver là, la première chose à faire c'est de réparer les vêtements », indique-t-elle, soulignant que la durabilité devrait avant tout se jouer avec la durabilité littérale des produits, loin de la qualité "limitée" des pièces de fast-fashion.

« Il y a un vrai travail d'information pour réparer les méfaits de la fast-fashion », note Monia Sbouai, créatrice de la marque Super Marché. « Mais l'enjeu va pour moi plus loin : les clients de notre marque sont des gens qui ont du pouvoir d'achat. Mais toute la question va être de pouvoir rendre accessible ces offres de mode responsable à des clients qui ont moins les moyens, et qui n'ont pour l'heure pas la liberté de consommer en accord avec leurs aspirations responsables ».

De nouveaux modèles à créer

Pour Stéphanie Talevis de l'organisme Circul'R, qui accompagne les marques dans leur évolution RSE, c'est à l'ensemble de la population que les réseaux sociaux donnent l'opportunité de faire pression sur les marques. « Il faut que les marques puissent dire quels maillons de leur chaîne de production est responsable et lequel ne l'est pas », indique la spécialiste qui en appelle à l'invention de nouveaux modèles, comme le leasing de vêtements proposé par Mudd's Jeans. « Un jean, c'est 10 000 litres d'eau. On ne porte réellement qu'un tiers des vêtements que l'on a. Or c'est un impact écologique énorme que l'on porte déjà, chaque jour, sur nous. »

Un argument de l'eau qui, comme il l'expliquera dans la table ronde suivante, ne convainc par Thomas Huriez, dirigeant de 1083. « Le sujet de la quantité d'eau liée au jean, qui revient souvent, est loin d'être le principal sujet : l'eau n'est pas perdue, et pas systématiquement polluée. Cela permet juste à certaines marques de ne communiquer que sur ça », indique le responsable venu évoquer son rêve de vêtements 100 % français, notamment en recréant une filature de lin en France. « Dans le jean, en revanche, la dernière étape qui nous manque en France, c'est le coton. Or, ce coton, on en a plein nos vêtements jetés. Tout le défi est donc faire des fibres pensées pour durer, et ensuite être réutilisées... chez nous ! »


Le nouvel espace Impact sur Who's Next - MG/FNW


Un rêve partagé par la marque Splice, dont les produits en lin affichent un prix de revient à 96 % tricolore. Cette dernière s'est fixé l'objectif avec 1083 d'atteindre les 100 % via l'installation d'une filature tricolore. « Il faut, pour y arriver, que l'on intègre dès aujourd'hui le surcoût qu'aura cette production tricolore dans nos produits », explique la créatrice de Splice, Marion Lacaux, qui rappelle l'importance de l'humain derrière ces questions de production. « On parle de machines anciennes nécessitant beaucoup de main-d'œuvre, offrant peu de possibilités d'automatisation, car c'est l'œil humain qui peut jauger la qualité d'une fibre. »

"Un rejet de la fast-fashion"

Un facteur humain également à prendre en compte du côté des consommateurs, comme le souligne Caroline Bianzina du cabinet Martine Leherpeur, qui note un changement de ton dans ses enquêtes. «On a maintenant des 10-15 ans qui nous disent acheter un produit car ils estiment pouvoir le revendre plus tard à tel prix », explique-t-elle, faisant le lien avec la conférence précédente. « On n'entend jamais 'J'ai envie de Made in France', mais 'J'ai envie d'une marque qui me raconte quelque chose, qui a quelque chose à dire'. Mais ce qui se dit clairement, en revanche, c'est qu'il y a désormais un rejet du formatage et de la fast-fashion ».

« Ce qu'il faut dire aux marques, c'est que tout ça n'est pas de la science-fiction. Ca arrive maintenant », rappelle de son côté Guillaume Gibault, cofondateur du Slip Français. « On est dans un petit monde de gens convaincus, mais la réalité est qu'il y a plein de gens qui ne sont pas encore sensibles à ces sujets-là. Pour que le made in France fonctionne, il faut que l'on arrive à faire de gros volumes. Cela implique que nous tous, consommateurs, achetions des marques qui vont dans ce sens. »

C'est sans doute Clarisse Reille, directrice du Défi (Comité de développement et de promotion de l’habillement) qui aura résumé l'essence même des échanges intervenus lors du dernier jour du Who's Next. « Du sens et de la sincérité ! », clame ainsi la responsable. « Il y a une aspiration générale pour du sens. Et aujourd'hui, 90 % des jeunes créateurs que je rencontre ont cette quête de sens dès le départ. Avant, les étudiants voulaient tous des stages chez Chanel. Aujourd'hui, ils réclament le Slip Français. Et, en face, on a de grands acteurs qui ont désormais compris qu'ils ne peuvent plus travailler comme avant. »

Qu'ils visent une production moins polluante ou plus proche, qu'ils tentent de ressusciter des filières ou juste d'offrir une alternative à de grands groupes, les croisés du made in France et de la mode responsable combattent aux deux extrémités d'un même front. Une lutte d'un secteur face à lui-même qui, s'il tardait trop à répondre à la demande du consommateur, pourrait devoir bientôt répondre à ses injonctions.
 

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