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3 avr. 2020
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Marcel Nakam (Jonak) : "La crise sanitaire agira comme un catalyseur, qui disqualifiera certaines marques"

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3 avr. 2020

Comme nombre d'enseignes et labels de mode, Marcel Nakam a dû baisser le rideau de ses 70 magasins à la mi-mars. Le directeur général de la marque de chaussures Jonak expose à FashionNetwork.com son organisation et ses décisions de crise, notamment celle de fermer son e-commerce dans un premier temps. Mais la griffe de souliers compte bien rester proche de ses clientes en communiquant efficacement et en préparant l'après-crise. Une reprise espérée pour début mai par l'optimiste dirigeant.


Marcel Nakam est le petit-fils du fondateur de Jonak. - DR


FashionNetwork.com : Quelle gestion de crise pour votre entreprise depuis les mesures drastiques prises par le gouvernement pour contrer le Covid-19 ?

Marcel Nakam : Nous avons arrêté toute l'activité à partir du 15 mars pour les boutiques et du 17 mars pour le site web. En termes sanitaire, ça n'était pas cohérent que les employés en entrepôt continuent de travailler sur site et que les équipes du siège soient en télétravail. Nos équipes magasin sont toutes au chômage partiel, de même que certains métiers du siège, hormis les département marketing/web, RH et comptabilité par exemple. Nous venons en outre d'ajuster notre stratégie en autorisant depuis lundi la prise de commande sur l'e-shop, mais avec une livraison qui se fera uniquement au redémarrage de l'activité.

FNW : Quel calendrier anticipez-vous ?

MN : Ce que l'on a en tête, c'est une reprise à partir du 4 mai. Le stock est présent et il faudra savoir faire face à la demande des clients à ce moment-là. Si l'on regarde la Chine, le commerce tourne aujourd'hui à 50 % du chiffre d'affaires généré d'habitude, donc on peut espérer si l'on est optimiste qu'au mois de juin, nous revenions à la normale en France.

La reprise va néanmoins poser des problèmes logistiques : nous n'avions pas fini les retours de la collection hiver avant la fermeture des magasins, et ces produits ne seront plus adaptés à la saison en mai et juin. Il faudra livrer vite la nouvelle collection, ce sera une intense période.

Nous avons par ailleurs maintenu la production chez nos partenaires au Portugal jusqu'à la semaine dernière, quand les usines ont été fermées. Une partie de la collection automne-hiver 20/21 a été fabriquée, elle sera attendue en boutique de juillet à septembre prochain.

FNW : Quelle est la baisse de chiffre d'affaires estimée et êtes-vous inquiet pour la pérennité de l'entreprise ?

MN : Le bilan c'est 0 % d'activité ces quinze derniers jours. Mais notre 'chance', c'est que février et mars sont d'ordinaire des "petits mois" pour la chaussure, environ 10 % des ventes annuelles pour ces deux mois cumulés. Si on y ajoute un mois d'avril presque nul, nous anticipons une perte d'activité de 20 % sur l'année, ce qui ne sera pas catastrophique, ou en tout cas ne mettra pas en péril l'entreprise. Pour Jonak, je prévois déjà de continuer à rénover nos points de vente, à investir. Il ne faudra pas être tétanisé, mais se remettre en question, et avancer.

Notre société est plutôt saine et peu endettée. Nous regardons de près les dispositifs annoncés par l'État, mais cela va surtout dans le sens de la trésorerie et pas dans celui du compte d'exploitation. Il n'y a pas d'annulations de charges, uniquement des reports. Notamment en ce qui concerne les loyers commerciaux.

FNW : Sur ce point, êtes-vous en discussion avec les bailleurs ?

MN : Nos relations avec les bailleurs sont très bonnes. Certains ont totalement supprimé le loyer à payer, d'autres disent non et acceptent seulement le report, et enfin la majorité nous répond qu'elle attend encore de voir pour décider. La négociation se fera au cas par cas. Nous souhaiterions trouver des points d'accord, avec des réductions de loyers par exemple, et nous allons dialoguer avec la soixantaine de bailleurs avec qui nous traitons.


Une com' de confinement non centrée sur les souliers. - Jonak


FNW : Des voix se sont élevées pour appeler au décalage des soldes cet été. Y êtes-vous favorable ?

MN :
Au départ, j'ai trouvé que cette idée de les décaler à la mi-juillet pouvait être bonne. Mais on ne sait finalement pas à quoi s'attendre cet été au niveau de la consommation. Les gens partiront sans doute en vacances comme d'habitude. Si au 15 juillet, il y a moins de monde dans les grandes villes, et que le mois d'août est mort, l'impact des soldes sera encore moins fort qu'à ses dates classiques. Ce décalage est risqué, et je privilégie davantage un maintien en juin, avec -exceptionnellement- un allongement de la durée à six semaines.

FNW : En cette période de ventes quasi-nulles, comment envisagez-vous la relation avec la cliente ?

MN :
On a choisi de prendre la parole pour apporter un contenu différent : les gens sont chez eux, et passent 30 à 50 % de temps supplémentaire sur les applis comme Facebook ou Instagram. On observe d'ailleurs pour Jonak un regain d'engagement de la part de notre communauté, avec davantage de likes et de partages sur nos posts. Cette situation d'attente ne va pas pousser à la consommation, et ce serait limite cynique de pousser en avant nos produits. Nous voulons plutôt faire voyager les gens, avec du contenu, des idées... Un journal de bord a été lancé il y a quelques jours, "happiness diary", qui propose une bonne nouvelle par jour, et nous avons mis en place un rendez-vous vidéo quotidien qui peut être un cours de yoga, de pâtisserie ou un tuto beauté. Un rendez-vous apprécié au vu des retours positifs par message et de l'audience constatée.

Nous lançons aussi cette semaine un nouveau contenu. Ma sœur et moi allons mener des conversations avec un invité, en vidéo sur Instagram, pour parler des valeurs d'une marque, de la société aujourd'hui et du monde qui vient, avec l'objectif également de mieux faire découvrir Jonak et son histoire. Notamment le fait que nous produisions en Europe, que nous utilisions des matériaux naturels... Nous sommes persuadés que lorsque l'activité redémarrera, les gens seront encore plus attachés à ces choses-là. C'était déjà dans l'air du temps, mais la crise sanitaire agira comme un catalyseur, qui disqualifiera certaines marques, notamment dans la fast fashion... Il y aura sans doute des défaillances d'entreprises textile.
 

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