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Mark Oaten (International Fur Federation) : « Les marques se détournant de la fourrure font une erreur »

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20 sept. 2018

Alors que l’International Fur Federation (IFF) lancera le 4 octobre prochain à Paris un nouvel outil blockchain de labellisation et traçabilité de la filière, son président, Mark Oaten, explique à FashionNetwork.com les ressorts de cette démarche à l’occasion du salon Première Vision Leather. L’opportunité d’aborder aussi les polémiques autour de la fourrure et les rapports difficiles avec les ONG.


Mark Oaten


FashionNetwork.com : Quel regard portez-vous sur les polémiques autour de la fourrure ?

Mark Oaten : Ce n'est pas un secret, la fourrure est sous une énorme pression. Beaucoup de marques délaissent la fourrure naturelle pour de la fausse. Le message que nous voulons faire passer est que ces marques ont tort. Elles font une grosse erreur au regard du débat entourant la fast fashion et la durabilité. Car ce choix ne fait que rajouter, par exemple, au problème des plastiques dans les océans. Ils suivent une démarche partisane menée principalement par les groupes de défense des animaux. Et je trouve cela dangereux. Car si le focus est aujourd’hui sur la fourrure, certains groupes se tournent déjà vers d'autres matières pour les interdire : le cuir, la soie, la laine et le cachemire. Nous pensons qu'il est important d'agir non seulement pour la fourrure, mais aussi pour le principe de textiles naturels. Mon message aux marques est « Réfléchissez bien avant de prendre une décision impulsive, car il y a un enjeu plus vaste que le droit des animaux ». Et beaucoup de ce que nous allons faire prochainement résulte de cela.

FNW : Vous souhaitez démontrer votre volontarisme sur ces questions donc ?

MO : Beaucoup de gens ont un problème avec l’idée de porter de la fourrure et ce n’est pas un souci pour nous. C’est une affaire de choix. Mais ce que nous voudrions, c’est que les marques offrent ce choix aux consommateurs. Quel est le problème quand Gucci indique avoir d’un côté de la fourrure naturelle et de l’autre de l’artificielle, pour que les clients choisissent ? Pourquoi Donatella (Versace a récemment banni la fourrure de ses lignes, ndlr) est-elle si effrayée qu’ils aient ce choix ? Cela me fait de la peine quand quelqu’un comme cela fait des déclarations car elle pense que c’est cool et trendy. Les marques dénient ce choix aux consommateurs, cas ils sont tétanisés par les groupes de défense des animaux. Or, la question n’est pas si claire et tranchée qu’ils le disent. Il faut réfléchir et ne pas céder à une approche populiste.

FNW : Qu’est-ce que le programme Furmark que vous allez bientôt lancer ?

MO : Nous sommes un marché compliqué, avec cinq-six types de fourrure, et nous opérons dans une cinquantaine de pays, circulant partout dans le monde. Nous devons donc mettre en place un programme à même de rassurer les commanditaires sur les conditions de production, que ce soit dans les fermes (85 % de la production, ndlr) ou de la fourrure sauvage (15 %, ndlr). Mais aussi informer sur notre usage de produits chimiques. Donc nous avons créé le programme Furmark, qui regroupe en son sein d’autres programmes s’adressant aux enjeux des différentes régions et maillons de la filière. Il y a par exemple le programme Wellfur en Europe, l’Americas Certifications outre-Atlantique, le Wild Fur Program… Furmark va donc encadrer la certification de ces programmes. Mais surtout, il va assurer la traçabilité des productions. Les marques sauront d’où vient la fourrure, qui l’a transformée, qui l’a teinte et surtout qui l'a certifiée. D’ici à 2020, les quatre principales maisons d’enchère dédiées à la fourrure ne vendront plus que des fourrures certifiées. Et ce n’est qu’un point de départ.

FNW : Vous parlez d’une blockchain, au final ?

MO : Oui. Un outil incroyable, mais si compliqué à expliquer, je trouve. Mais nous travaillons avec l’entreprise Chainpoint, qui a fait un travail similaire pour l’industrie du coton. C’est un outil simple au final, car il vous donne toutes les informations infalsifiables dont vous avez besoin. Mais le fonctionnement même d’une blockchain est paradoxalement très compliqué. Nous avons beaucoup de certifications relativement simples, car conçues par des spécialistes de notre industrie. Mais quand vous voulez donner une information précise sur une pièce regroupant cinq ou six fourrures différentes, venues de pays différents, il vous faut un outil puissant. Nous avons rejeté l’idée d’un tag d’identification sur les fourrures, au profit d’une blockchain.

FNW : Quelle réaction attendez-vous des marques ?

MO : Nous allons lancer le programme à Paris, puis Milan, Londres et New York. Mais il reste à définir avec les marques les éléments finaux de Furmark. Au final, quand elles auront toutes les données, voudront-elles que la certification prenne la forme d’un label ? Quels genres de produits voient-elles intégrés au programme ? Une grande marque nous a par exemple déjà indiqué ne pas vouloir de signe distinctif sur le produit, mais juste avoir la certitude d’une production responsable. Mais d’autres voudront peut-être une étiquette, des détaillants peuvent vouloir des outils de promotion… C’est pour cela que nous travaillons avec les marques et grands groupes, dont Kering et LVMH. Nous aurons une communication à l’échelle internationale. L’endroit où nous allons le faire différemment est la Chine, qui ne fait pas partie de Furmark.


FurMark entend intégrer des certifications déjà existantes sur certains marchés - IFF


FNW : Pour quelles raisons ?

MO : Ils ne sont pas prêts. Il nous faut plus de garanties. Furmark n'est pas pour tout le monde, on ne peut accepter des gens ne répondant pas à nos standards. Si un mauvais produit intègre le programme, il fera du mal au programme tout entier. Certaines fermes chinoises peuvent très bien correspondre à nos standards. Mais le problème est l'absence d'inspections indépendantes. Ce qui culturellement n'est pas facile à faire évoluer dans ce pays. J’y vais trois fois par an rencontrer la « Commission forestière » qui est en charge de la fourrure, car la production locale concerne surtout la fourrure sauvage. Nous élaborons des projets. Mais cela prendra du temps et il faudra des inspections indépendantes. Par ailleurs, Furmark intégrera peut-être certains fabricants du Brésil, d'Argentine, d'Ukraine. Mais ce seront de petites quantités, toute la production ne sera pas dans le programme.

FNW : Espérez-vous, au passage, nouer un dialogue avec certains activistes ?

MO : J’aimerais avoir une discussion avec certains d’entre eux. Si c’est Ingrid Newkirk, qui dirige Peta, j’aurai plus de mal. Elle a comparé ce que nous faisons à la Shoah. Je la trouve trop extrême. Mais il y a d’autres personnes que je respecte totalement, qui sont très impliquées dans la protection des animaux et que je suis ravi de rencontrer pour présenter ce que nous faisons et recevoir des suggestions. Mais des gens obsessifs, négatifs, cela m’est difficile.

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