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20 déc. 2019
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Mode circulaire : visite au cœur d'un centre de tri textile en Ile-de-France

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20 déc. 2019

A l'heure où le gouvernement veut interdire les destructions d'invendus et où se multiplient les solutions de recyclage textile, FashionNetwork.com est allé visiter le Relais Val de Seine à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, l'un des quatorze Relais disséminés sur le territoire français. Un centre de tri qui a collecté l'an passé pour 5 500 tonnes de textiles mis dans 1 000 bennes, pour une capacité de tri oscillant entre 3 500 et 4 000 tonnes à l'année.


MG/FNW


Difficile de ne pas remarquer le lieu devant lequel s'entassent les très reconnaissables bennes de collecte du relais. A l'intérieur se dresse un labyrinthe coloré de bacs grillagés d'où dépassent vêtements, chaussures et linge de maison. Au loin, une enchaînement de tapis roulants où, répartis stratégiquement, les employés exercent leur regard aiguisé, et font virevolter les pièces de tissus dans tous les sens. Ils sont 110 à officier dans ce Relais Val de Seine, dont une moitié en emploi de réinsertion, triant le contenu de 1 000 bennes disposées dans les Yvelines et une partie des Hauts-de-Seine.

Les sacs de vêtements, une fois sortis des bennes, vont dans les mains des "craqueurs". Ceux-ci "craquent" en effet les sacs pour en répandre le contenu et effectuer un première sélection. Tout ce qui n'est pas textile ou qui est humide est automatiquement mis à l'écart, le reste commençant son chemin le long du tapis roulant, dont le grondement sourd rythme l'activité. Quelques mètres plus loin, c'est là que s'effectue un réel premier tri. 

Un vêtement sur deux sera réutilisé tel quel



La "crème" des produits, ceux pas ou peu abîmés, sont extraits d'un geste par des personnes rompues à l'exercice. Cette première sélection, complétée par un tri secondaire le long du tapis, est l'une des plus essentielles du dispositif. Pas moins de la moitié des pièces transitant par le lieu vont en effet être réemployées telles quelles. Et 5 % prendront place dans les huit boutiques locales de Ding Fring, l’enseigne de vêtements de seconde main gérée par le groupe Emmaüs et comptant 73 adresses en France.


MG/FNW


"Très concrètement, c'est ce qui nous fait vivre", souligne Jean-François Luthun, qui supervise ce site ainsi que son équivalent bordelais. Ces produits sélectionnés sont alors amenés vers un espace de travail à l’écart pour être séparés selon les types de produits, mais aussi par marque. Un carton dédié aux « belles marques » recueille ainsi les futurs best-sellers des revendeurs, tandis que sont constitués des cartons de robes, lingerie, hauts ou accessoires, les pièces d'été et d'hiver étant séparées. Les chaussures ont droit à un traitement à part.

Certaines pièces de mauvaise qualité serviront de combustibles aux industriels



Ces produits prendront ensuite place dans des cartons d’expédition regroupant des sélections de saison qui seront expédiés sur demande aux points de vente du réseau Emmaüs. Pendant ce temps, les produits qui ne font pas partie de la « crème » poursuivent leur chemin sur un second tapis roulant, où sont notamment prélevés les vêtements chauds. Car, au bout du tapis, ne doivent tomber que des pièces légères, que le Relais destine aux pays chauds. Celles-ci partiront principalement en Afrique, où opère notamment l'organisme.

Mais, avant d’atteindre le bout du tapis, les produits passent sous le regard d’une dizaine de personnes qui en extraient les produits inexploitables. Vestes légères et joggings synthétiques non vendables, polaires abîmées, sous-vêtements sales ou déchirés quittent le tapis vers des bacs dédiés. Impropres à la vente comme au recyclage, ils seront détruits. "Nous payons pour nous en débarrasser car même les industriels n’en veulent pas en CSR (combustibles solides de récupération, ndlr)", pointe Jean-François Luthun. Seuls 1 à 2 % des tissus triés finissent incinérés, contre 5 % en CSR.


MG/FNW


Le long de la chaîne de tri, les différents matériaux, comme le cuir, sont séparés. Les produits en laine cardée sont par exemple destinés à être effilochés en vue de recréer de la matière première. Sur la quantité de bacs qui se remplissent au fil des minutes, 15 % des matériaux termineront en chiffons à destination des industriels. Mais, surtout, environ 30 % seront expédiés vers le Pakistan, où ils seront recyclés, que ce soit pour redevenir des fils textiles ou de l’isolant. Ces matériaux sont expédiés par « balles », ces massifs blocs rectangulaires de textiles, réalisés au moyen d’un imposants compacteurs installés au bout de la chaîne de tri.

L'engouement pour la revente de vêtements a eu raison de la qualité des pièces données



Ces balles sont ensuite empilées dans un hangar attenant, formant de massives murailles de textiles aux coloris anarchiques, en attendant de connaître leur destination. Le jour venu, sur le quai de chargement des camions, elles croiseront bon nombre de casiers en métal débordant de sacs attendant à leur tour d’être triés. "Quand nous recevons trop de tissus à trier, nous les réexpédions vers d’autres Relais", explique Emilie Morand, directrice générale déléguée du site, tandis qu’un des dits casiers est déversé dans un semi-remorque. "Mais nous formons également un stock, en prévision de moments où la collecte sera moindre."

Une question de la collecte qui n’est pas moins technique que le tri lui-même. "Nos équipes ont des PDA (Personal Digital Assistant, ndlr) dotés d’un logiciel de collecte optimisée, ce qui permet d’aller chercher une benne avant qu’elle ne soit pleine, et donc de perdre des dons", explique Jean-François Luthun, qui évoque par ailleurs le cas de villes refusant l’installation de bennes, et pour lesquelles des dispositifs de collecte mobiles sont nécessaires. "On constate aussi une chute progressive de la qualité des textiles collectés", déplore le spécialiste, confirmant les récents constats de l’Institut français de la mode sur la seconde main. Une chute due aux massives productions de la fast-fashion, mais également à la montée en puissance des reventes de produits entre particuliers qui captent une partie notable des meilleurs « gisements ».


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Mais la véritable appréhension de Jean-François Luthun est bien l’actuel désaccord entre les organismes de collecte et EcoTLC, l’éco-organisme financé par les metteurs sur le marchés (marques, distributeurs…). Celui-ci conteste en effet devant la Cour de justice de l’Union européenne l’arrêté du 19 septembre 2017 fixant à 82,5 euros par tonne le soutien à verser aux opérateurs de tri, contre 60 précédemment. Une aide d’Etat, selon EcoTLC, qui n’a pas été dûment notifiée à la Commission européenne. Un désaccord qui inquiète les entreprises quant à la pérennité financière de leur modèle, tandis que s’opposent deux approches : l’une privilégiant la réutilisation et l’autre souhaitant investir dans le recyclage.

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