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8 oct. 2014
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Moyen-Orient : quel avenir pour le luxe ?

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8 oct. 2014

Début octobre, une  conférence de l’Association des Professionnels du Luxe s’intéressait au marché du luxe au Moyen-Orient. Une matinée pour dresser l’état de santé économique de cette région, décrypter le profil de la clientèle et soulever les questions clés auxquelles les marques de luxe sont confrontées.


Animée par Catherine Jubin, la conférence avait invité à sa table Laurence Louër, chargée de recherches à Sciences Po, au Centre d’Etudes et d’Analyses Internationales, pour porter un éclairage géopolitique sur la région ; Rémy Oudghiri, directeur du département Tendances et Prospectives d’Ipsos ; Marie-Hélène Straus, general manager Stratégie Innovation du groupe Chalhoub ; et Julien Hawari, co-CEO de MediaQuest Corp, groupe de médias, presse et internet, basé à Dubaï.

Si, vue de loin, la région pourrait paraître engluée dans des conflits incessants – conflit israélo-palestinien, progression de l’Etat islamique en Irak, guerre fratricide en Syrie…, et donc peu propice au développement de secteurs comme la mode et le luxe, "le Moyen-Orient s’ouvre pourtant depuis plusieurs années à la consommation premium, reconnaît Laurence Louër, certains émirats, comme Dubaï, revendiquant haut et fort le statut de plaque tournante privilégiée pour la consommation de biens et de services de luxe".

Des territoires que l’experte qualifie comme "zones de potentiel pour le luxe", mais avec quelques forts contrastes à prendre en compte. "Outre les points communs - une économie basée sur le pétrole, des gouvernements dynastiques, une classe moyenne large disposant d’un bon pouvoir d’achat, l’émergence du travail chez les femmes…, il faut considérer de grandes différences entre les pays les plus riches du monde, soit le Koweit, les Emirats Arabes Unis et le Qatar, et d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, le Bahreïn et Oman, où les taux de chômage peuvent approcher les 15%".

Dans ce contexte, que peuvent alors espérer les marques de luxe ? Selon Rémy Oudghiri, le potentiel de développement est immense. S’appuyant sur les résultats de l’Observatoire World Luxury Tracking (partenariat Ipsos / Association des Professionnels du Luxe), passant au peigne fin une quinzaine de marchés du luxe des pays émergents et matures, dont l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, le spécialiste argumentait en mettant en avant la "frénésie de consommation des clientèles arabes".

"Une consommation supérieure à la Chine, et concernant toutes les catégories de population. Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes. 60 % des Emiratis et 47 % des Saoudiens ont l’intention de se faire plaisir en dépensant plus au cours de l’année 2014". La preuve d’un réel optimisme selon Rémy Oudghiri, mieux, d’une vision du luxe comme projection vers le futur, "les consommateurs arabes n’ayant pas peur de l’avenir à la différence des Européens, et ne cherchant pas non plus à épargner".

Condition nécessaire au développement des marques de luxe dans ces régions, révélée par l’étude : l’innovation. "Si les marques souhaitent réussir au Moyen-Orient, elles doivent d’abord comprendre le profil des clientèles arabes. A la différence des Français ou des Japonais, où les valeurs de savoir-faire et de tradition priment, les clients arabes associent le luxe au produit pointu en matière d’innovation et entretiennent le culte du "jamais vu", veulent l’exclusivité, les dernières collections à la mode, les produits à logo pour être vus, les objets personnalisés aussi. Ils vénèrent le parfum, grand marqueur du statut social, tout cela pour se faire plaisir autant que pour afficher sa personnalité et se distinguer du voisin".
 
Une adaptation nécessaire au marché confirmée par Marie-Hélène Straus, du groupe Chalhoub, principal distributeur du luxe au Moyen-Orient, et pour qui le développement du retail doit être sans cesse inventif. "A Dubaï comme à Abou Dabi, les populations surconsomment le luxe, les jeunes de 16 ans ont déjà du Gucci, du Prada, du Chanel, passent leur journée dans les malls… Le luxe fait partie de leur mode de vie. Les marques qui souhaitent réussir doivent donc créer plus qu’ailleurs de la surprise et du divertissement en magasin, multiplier les services comme Louis Vuitton le fit à Dubaï avec ses services de garderie pour enfants, servir le thé, parler la langue…, créer de l’expérience d’achat, plus que de la vente."

Autre variable importante à prendre en compte selon les spécialistes : la place prépondérante des accessoires de luxe. Si le prêt-à-porter représente 20 % du marché du luxe, la maroquinerie, les chaussures, le maquillage sont les segments les plus prisés. Et surtout chez les femmes, en raison du port de l’abaya.

Côté digital, si seulement 10 % des ventes de produits de luxe s’effectuent pour le moment sur Internet, les spécialistes voient un vrai boom économique se profiler ces prochaines années. "Avec une croissance de l’ordre de 70 % des ventes online l’année dernière, on comprend facilement, souligne Marie-Hélène Straus, l’intérêt des marques de luxe à se hisser rapidement sur la vente sur internet. Une nouvelle façon de consommer se développe aujourd’hui, et les enseignes ne pourront pas y échapper."

Reste à savoir si ce boom économique peut être pérenne ? "Avec une croissance très forte des lieux de vente, +145 % en superficie locative entre 2005 et 2010, le Moyen-Orient voit jusqu’en 2020, voire 2022, s’affirmer sa puissance économique, explique Marie-Hélène Straus. Des malls géantissimes aux malls de proximité qui s’ouvriront à Dubaï, Riyad ou Abou Dabi, motivés par quelques événements internationaux d’envergure tels l’Exposition Universelle à Dubaï en 2020 et la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, ou la création d’une ville zéro carbone à Masdar, tout porte à croire que le marché du luxe devrait irradier."

A plus long terme, la réponse semble, en revanche, moins évidente. Si Marie-Hélène Straus voit les lignes du luxe bouger dans les 30 prochaines années, avec un rapprochement avec la zone asiatique, dont la Chine, reste aux pays du Moyen-Orient à faire face, pour le futur, à de nouveaux défis mis en avant par Laurence Louër : la pénurie du pétrole, qui concerne déjà le Bahrein, les conflits religieux omniprésents face à des pays qui ne sont pas des puissances militaires, le chômage présent au Qatar ou aux Emirats Arabes Unis et les questions sociales.
 

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