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28 mai 2013
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ONG: "Le Bangladesh ne doit pas servir de bouc émissaire"

Publié le
28 mai 2013

La ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq recevait jeudi 23 mai à Bercy dirigeants de grandes marques et représentants d’ONG. Suite au drame du Rana Plaza, la ministre souhaite pousser les enseignes à mieux s’impliquer dans l’amélioration des conditions de travail chez leurs fournisseurs. Lors des échanges, étaient présentes Sophia Lakhdar de l’association Sherpa pour les défenses des populations victimes de crimes économiques, et Fanny Gallois de l’ONG Peuples Solidaires, qui lutte pour la dignité au travail dans le monde. Toutes deux nous livrent leur sentiment sur les conséquences du drame bangladais.

Les ruines du Rana Plaza - Photo : AFP


FashionMag.com: Quel regard portez-vous sur la signature du Fire and Building Safety Agreement par un nombre croissant de marques, suite au drame?
Sophia Lakhdar: Il y a un effet d’entraînement. Une marque va signer, puis une autre… Je pense que c’est une bonne chose, car cela amène un rapport contractuel. Mais ce n’est pas dans le cadre d'une norme contraignante qui permettrait une régulation multisectorielle sur l’ensemble des pays. Là, on est uniquement sur la confection et le Bangladesh. Or il faudrait que l’on aille voir du côté des haciendas au Brésil, et de certains ateliers de confection à Sao Paulo qui emploient des Boliviens et des Paraguayens [en référence à une polémique ayant touché Inditex et la marque Zara, ndlr].

FM: Quelle réponse avez-vous des marques sur de tels sujets?
Fanny Gallois: Dans le cas d’Inditex, il s’agit de l’une des premières entreprises à avoir reconnu sa responsabilité dans le cas de l’effondrement de l’immeuble Spectrum en 2005. Nous l'avions impliquée, de même que Carrefour. Mais Inditex, à la différence de Carrefour, avait indemnisé les employés. Cela ne veut pas dire qu’ils sont parfaits, mais ils ont au moins une reconnaissance de responsabilité supérieure, dans ce cas précis.

FM: Nicole Bricq entend imposer une feuille de route au Bangladesh. Est-ce une bonne solution?
SL: On a l’impression que toutes les attentions sont aujourd’hui portées sur le Bangladesh. Mais il faudrait avoir une vision beaucoup plus globale. Les problèmes ne se cantonnent pas au textile. Il y a des codes de conduite, des accords contractuels, et des normes contraignantes. Et nous, nous souhaitons évidemment aller vers davantage de normes contraignantes. Qui pourraient être opposables aux personnes violant des principes en terme de respect des droits humains et environnementaux.

FM: Les marques pointent souvent du doigt des fournisseurs sous-traitant illégalement...
FG: C’est une très mauvaise excuse qui nous a été redonnée pendant la réunion que l’on a eue. On a appris par Auchan que peut-être l’un de ses fournisseurs aurait sous-traité illégalement une part de sa production au Rana Plaza. Et que donc ils vont prendre des mesures contre ce fournisseur. Très bien. Mais, dans le même temps, qu’ils indemnisent leurs travailleurs. S’ils admettent qu’il y a eu une production qu’ils n’ont pas été capables de contrôler, alors qu’ils savent pertinemment qu’il y a de la sous-traitance sauvage au Bangladesh, cela veut dire qu’ils sont responsables. C’est le sens de la responsabilité tel que le prévoit l’OCDE, allant de la filiale au sous-traitant, et du sous-traitant au sous-traitant sauvage. Y compris si on ne le sait pas. Car, s’il y a cette sous-traitance sauvage, c’est parce qu’il y a une pression des donneurs d’ordres telle que les fournisseurs sont prêts à tout pour honorer la commande.

SL: Face à cette pression, les conditions de sécurité ne sont plus garanties pour les salariés. Pire, on en arrive à des conditions proches du travail forcé. Il y a des ateliers en Jordanie censés êtres les plus vertueux du pays. Lors de visites de l’Organisation internationale du travail, on a vu qu’ils pratiquent 12 heures de travail par jour, 7 jours sur 7, debout, avec interdiction d’aller aux toilettes, un logement insalubre face à l’usine, et un contrat de 3 ans. Là, clairement, c’est du travail forcé, tel qu’on peut aussi le trouver en Chine. Sans oublier le cas des prisonniers politiques que l’on affecte à la production.

FM:Le maintien du GSP, le système généralisé de préférences, dont bénéficie le Bangladesh peut-il être un levier pour agir?
SL: Nous avons mis en garde Nicole Bricq contre une stigmatisation du Bangladesh. Le problème n’est pas là-bas. Evidemment, le pays est responsable du bien-être de sa population et de l’application de ses lois. Evidemment, il faut l’en tenir responsable. Mais c’est tout un système qui est en cause. Or, si l’Etat met en place des zones franches où les syndicats sont interdits, si les entreprises n’augmentent pas les salaires, c’est aussi pour attirer l’investissement étranger, et répondre à une demande. Y compris françaises. Punir le Bangladesh en menaçant de le priver du GSP, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. Il ne faut pas y voir un cas isolé.

FG: Si vous supprimez le GSP du Bangladesh, les entreprises iront tout simplement en Birmanie, en Ethiopie, au Pakistan… Des pays où les conditions sont exactement les mêmes. Voilà les rumeurs que l’on entend. Qu’est-ce que l’on fera, alors? Punir les autres pays aussi? Dans ce cas de figure, ce sera la double punition pour le pays. Le Bangladesh ne doit pas servir de bouc émissaire.

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