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Philippe Favre (Prospheres) : "Les situations de crise suscitent les changements d'actionnaires"

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26 mai 2020

Philippe Favre est l'un des managers de transition de Prospheres, un cabinet spécialiste de la restructuration d'entreprises. En mission chez Go Sport depuis un an, il a par le passé été appelé au chevet du groupe Happychic (Jules, Brice...), de Mellow Yellow (groupe Eram) ou encore de Grain de Malice. Il connaît donc bien ce secteur de l'habillement qui est aujourd'hui particulièrement chahuté notamment avec les dossiers La Halle, Naf Naf et Camaïeu. Le dirigeant analyse pour FashionNetwork.com ses particularités et ses difficultés, aggravées en temps de crise.


Philippe Favre - DR


FashionNetwork.com : Quel impact aura la crise sanitaire sur les acteurs de l'habillement en France ?

Philippe Favre :
Elle donne un coup supplémentaire à une industrie en mal de trafic, qui n'en avait pas besoin. Le secteur a connu plusieurs moments difficiles ces dernières années, les attentats en 2015, le mouvement des Gilets jaunes, et les grèves. Cette crise exacerbe surtout les problèmes de trésorerie.

FNW : Dans quelle mesure cette question financière est cruciale aujourd'hui ?

PF :
Pas de vente, cela signifie aucune entrée de trésorerie, avec des stocks qui ne s'écoulent pas. Les marques n'ont pas toutes assez d'argent pour racheter les produits de la saison suivante. Elles vont devoir faire face, en reportant des articles sur la saison suivante, et en opérant des démarques importantes. Les ventes du printemps 2020 sont clairement perdues. Les soldes vont également jouer un rôle. L'objectif de tous les acteurs étant de reconstituer un peu de trésorerie.

FNW : Ces difficultés vont-elles entraîner davantage de défaillances ?

PF :
Il faut souligner d'abord que deux mesures sont venues en aide aux entreprises. D'abord la possibilité du chômage partiel, qui a considérablement réduit la masse salariale sur la période, et les prêts garantis par l'Etat, permettant de maintenir un niveau de trésorerie pour celles qui ont pu en bénéficier. Mais un prêt doit être remboursé. Les entreprises bénéficient d'un an de répit avant de commencer à le rembourser.

Je pense donc que les difficultés majeures risquent d'arriver en 2021. Et massivement. Certains sont entrés dans cette période de pandémie sans avoir le niveau de trésorerie adéquat : encaisser la crise sera pour eux un défi. Je n'espère pas que les défaillances puissent s'enchaîner, mais on peut le craindre.

FNW : Sur quoi doivent se concentrer en premier lieu les dirigeants des marques ?

PF :
Encore une fois, la priorité, c'est la trésorerie ! Une gestion serrée est de mise. Si les difficultés sont majeures, contacter le tribunal de Commerce est aussi une option : les patrons ne devraient pas rechigner à le faire. Les procédures de prévention sont confidentielles (conciliation, mandat ad hoc), et apportent une vraie aide. Cela peut permettre de soutenir la négociation avec les banques et les créanciers, et de trouver des solutions, sans inquiéter les salariés ou les fournisseurs.

FNW : Vous êtes à la baguette de Go Sport depuis un an. Comment l'enseigne de sport traverse la crise et où en est le processus de cession lancé par le groupe Casino?

PF :
Deux éléments différencient l'enseigne de celles évoluant dans le secteur de l'habillement : d'une part, durant le confinement, les gens ont continué à faire du sport, nous avons bénéficié d'une bonne activité web; de l'autre, à la réouverture des magasins, les produits pour la pratique physique sont toujours très plébiscités, notamment au rayon vélo. En revanche, je ne me prononcerai pas concernant le processus de cession en cours.

FNW : La période est-elle propice aux bons coups concernant le rachat de marques ou d'entreprises ?

PF :
Certainement. Les situations de crise suscitent les changements d'actionnaires. Surtout en sortie de crise, avec des réductions du périmètre à la clé : il y aura du mouvement en 2021 et 2022. Le retail a de l'avenir, mais devra encore s'adapter, en misant sur l'omnicanalité.

FNW : Quelles sont les entreprises de mode qui traverserons le mieux cette turbulence ?

PF :
Ce que la crise - que personne ne pouvait prévoir - nous apprend, c'est qu'on ne peut la surmonter que si l'organisation d'une entreprise est agile, avec des prises de décisions rapides. Mon credo, c'est de donner de plus fortes responsabilités aux équipes. Les organisations trop cloisonnées, sclérosées, ne s'en sortent pas. Il faut être alerte et faire confiance. La mode est une industrie où les salariés sont en général très attachés à leur entreprise. Ce sont eux qui sont directement reliés au réseau local d'une marque et à ses clients. Quand on leur donne plus d'autonomie, ils l'utilisent à bon escient.

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