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Publicités digitales en vitrines: les commerces montent au créneau

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25 mars 2021

L'article 7 de la loi Climat et Résilience prévoit d'encadrer l'affichage digital dans les vitrines des commerces. Projet jugé choquant par l'ensemble des fédérations de commerçants qui y voient là une ingérence dans la liberté du commerce. Et pointent les incohérences de l'argument climatique avancé, qui cacherait en réalité une lutte idéologique contre la consommation elle-même, au risque de désavantager les commerces de centres-villes face à l'e-commerce. Alors que le texte sera étudié le 29 mars, six fédérations lancent une campagne dédiée.


Campagne des fédérations de commerçants - DR


La campagne reprend à son compte le "Ceci n'est pas une pipe" de René Magritte, et va être déployée sur 2.000 panneaux d'affichage, en particulier en Île-de-France. L'initiative est portée par la Confédération des commerçants de France (CDF), représentant les indépendants, l'Alliance du commerce (grands magasins, enseignes mode/chaussures), la fédération Procos pour le commerce spécialisé, la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA), la fédération nationale des centres-villes Vitrines de France et la Fédération des associations de commerçants et artisans de Paris (FACAP).

En parallèle, le Conseil du Commerce de France, qui regroupe une trentaine de fédérations, a appelé le 25 mars à une suppression de l'article 7, visant à une "atteinte disproportionnée au droit de la propriété et à la liberté d’entreprendre des commerçants, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi".

Fait rare, les six fédérations ont pris la parole ensemble le 25 mars à l'occasion d'une visioconférence de presse. Une prise de parole qui suit la publication par Le Journal du Dimanche d'une tribune signée par treize élus écologistes soutenant le projet.

Ces derniers souhaitent une loi "intégrant les panneaux numériques des annonceurs qui prolifèrent actuellement dans les vitrines des magasins à la législation concernant l'espace public, et en permettant leur interdiction par les élus locaux. Ces supports publicitaires tournés vers l'espace public échappent au droit de l'environnement du fait de leur installation dans un local commercial". 

"C'est un non-sens", pour Guillaume Simonin, directeur des affaires économiques et juridiques de l'Alliance du commerce. "Du fait de la loi Elan, les commerces et acteurs de l'immobilier commercial se sont déjà engagés à réduire d'ici 2030 leur consommation électrique de 40%. Donc cela fait déjà l'objet d'une obligation légale. Et il existe par ailleurs déjà une règle qui impose l'extinction des vitrines la nuit. Nous ne sommes pas contre des règles, mais nous voulons des règles claires."

"C'est la consommation elle-même qui est visée"



Pour le président de CDF, Francis Palombi, le projet de loi est aussi irréaliste qu'infantilisant. "Nous avons des études montrant qu'il n'y a pas de nocivité des publicités modernes", rappelle le représentant. Une étude KPMG menée en 2020 pointait en effet que les dispositifs de vitrines digitales s'avéraient 3 à 4 fois moins énergivores que d'autres médias dont les publicités digitales ou la télévision.

Était également pointé du doigt le fait que les vitrines digitales génèreraient des émissions de CO² 2,3 fois supérieures du côté des affichages extérieurs, notamment publics. Dont Thierry Veron, président de FACAP, pointe qu'ils continuent d'être déployés par centaines dans l'espace public parisien.


L'étude Kantar de 2020 établissait qu'un report des investissements liés aux vitrines digitales vers d'autres supports aurait un impact négatif sur les émissions de CO² - Kantar


Pour les fédérations, la faiblesse de l'argument énergétique démontre une intention autre. "La preuve en est qu'ils avancent des arguments qui n'ont rien à voir avec leur champ de compétence, et parlent de lutte contre "l'hyperconsommation", de contrôle des contenus des publicités…", s'inquiète Guillaume Simonin.

"Or il n'appartient pas à un maire de se mêler de la consommation de ses administrés. Ce texte n'est pas anodin: il ouvre la porte à une intrusion des élus dans une activité qu'ils sont en droit de critiquer mais pour laquelle ils n'ont pas le droit de décider. Cet article porte en germe une diminution de l'appareil commercial dans nos villes."

La tribune des élus écologistes reconnaît d'ailleurs en creux que leur assaut contre la publicité se tourne aujourd'hui vers les vitrines faute de mieux. Le texte rappelle ainsi que la Convention citoyenne pour le climat a consacré à la publicité 7 de ses 149 propositions, parmi lesquelles l'interdiction des écrans vidéo publicitaires.

"Le projet de loi Climat et Résilience du gouvernement n'en a retenu que des mesures insignifiantes", écrivent les élus, citant parmi ces mesures la possibilité pour les maires de réglementer les types d'écrans publicitaires installés dans les vitrines des magasins. Faisant de l'article 7, au départ élément mineur du projet de loi, l'un des derniers bastions sur lesquels les élus écologistes peuvent se focaliser lors des débats parlementaires.

"Insignifiant" pour les élus, "dangereux" pour les commerçants



Pour les fédérations de commerçants, le bras de fer se joue à différents niveaux. Sur une question de principe tout d'abord, le texte ouvrant la voie à une ingérence croissante des pouvoir publics dans l'offre commerciale. S'ajoute un niveau fiscal, avec la crainte de voir l'article 7 préparer de nouvelles taxations, là où la taxe locale sur les vitrines est déjà passée de 30 à 150 millions d'euros en une décennie.

Les fédérations rappellent d'ailleurs que le commerce de centre-ville est déjà le plus taxé. De nouvelles taxes accentueraient selon elles le déséquilibre avec les grands espaces commerciaux de périphérie, et surtout avec l'e-commerce, dont Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France, relève avec ironie qu'il est étonnamment aux abonnés absents dans ce projet de loi Climat.


Shutterstock


S'ajoute évidemment une lecture contextuelle de l'article 7, qui intervient alors que les commerces sont confrontés à de lourdes difficultés de trésorerie, et devront vraisemblablement faire face à une reprise timorée de la consommation dans les prochains mois. Mais se pose également une question stratégique: "On se bat pour faire revenir les consommateurs en centre-ville, notamment via le plan Action cœur de ville", rappelle Emmanuel Le Roch, délégué général du Procos. "Avant même le Covid-19, nous devions faire face à des chutes de fréquentation. Et on met aujourd'hui injustement en danger un certain nombre de commerces, dont la vitrine est le premier élément de différenciation."

Un point sur lequel Alexandra Bouthelier, délégué générale de la FCA, abonde: "Les commerces, qui travaillent longtemps sur leurs concepts et leurs vitrines, ne peuvent pas vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, avec un maire qui viendra soudain interdire leur vitrine". Et de renchérir: "On ne peux pas travailler de cette façon-là. Nombre d'élus l'ont bien compris, mais quand on affiche cette position, on est pointé du doigt comme réfractaire à tout effort climatique. Or, ce n'est pas le cas. Nous n'avons simplement pas de leçons à recevoir sur la façon de présenter nos produits."

"Tous les commerces ne veulent pas d'écrans en vitrines"



Pour Jean-Pierre Lehmann, président des Vitrines de France, comme pour les autres représentants, l'article 7 porte atteinte à la liberté fondamentale du commerce. "C'est aux commerçants de décider de la bonne solution pour faire entrer son client", estime le responsable.

"Ce sont les vitrines, parfois changées chaque semaine, qui animent nos centres-villes, et sont le premier contact avec le client. Voyez les foules devant les vitrines des grands magasins à Noël. Nous sommes attirés par la lumière. Les touristes à New York, écologistes ou non, se prennent en photo devant les écrans de Broadway. Nos rues sont très loin d'être Times Square. On a besoin de lumière, à l'ère où les centres-villes peinent à attirer les clients."

La tribune des élus écologistes aura eu pour effet de pousser les commerçants à faire bloc. Certains raillant même, sur les réseaux sociaux, que les signataires sont des élus de grandes agglomérations. Là où ce sont les villes petites et moyennes qui souffrent de la multiplication des locaux commerciaux vides et de la fuite des clients vers la périphérie et les portails de vente en ligne.

"Tous les commerces ne veulent pas d'écrans en vitrines, mais l'idée est de laisser à ceux qui le veulent la possibilité de le faire. Sinon, on se retrouvera à terme avec des vitrines fermées, murées, comme on en voit en périphérie (par souci administratif, ndlr)", s'inquiète Emmanuel Le Roch, pour qui la vitrine doit rester un élément de différenciation.

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