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24 nov. 2022
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Shein: une mécanique économique redoutable mais qui pourrait bien se gripper sous le poids des critiques et enquêtes

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24 nov. 2022

Un peu partout dans le monde, l'affiche Shein pour les opérations de Black Friday bourgeonne dans les métros, panneaux d'affichage et abribus. La marque chinoise, figure de proue de l'ultra fast-fashion, va multiplier les prix cassés: une robe à 10,99 euros, un pull à 11,49 euros, une veste imitation cuir à 36,49 euros, etc.  Le tout dynamisé par des offres additionnelles ou des ventes flash avec des produits à partir de 19 centimes d'euro. Une offre mode vaste, avec plus de 50.000 références produits annoncées, et agressive en prix, qui est l'expertise de la marque... et attise les critiques.


La marque devrait réaliser des ventes importantes durant le Black Friday - Capture d'écran


Plusieurs voix ont dénoncé le peu de cas que ferait la direction de Shein concernant les droits humains ou le fait que la société utiliserait du coton sourcé au Xinjiang dans ses productions. La semaine passée, l'émission Capital mettait en exergue le fonctionnement et les travers de la marque.

Profitant de ce rendez-vous mondial de la consommation, l'antenne allemande de Greenpeace a révélé une analyse de la composition de produits de Shein. Selon l'ONG, sur 47 produits testés, 15% contiennent des substances chimiques dangereuses qui dépassent les limites réglementaires de l'Union européenne.

Mais ces critiques peuvent-elles ébranler le géant qu'est devenu Shein? Chez Shein, la bataille sur les prix est en tout cas totalement assumée.

Son succès, la marque l'a construit avant tout via les réseaux sociaux et en particulier TikTok, captant une clientèle d'adolescents et de préadolescents attirés par des vidéos engageantes, ciblées grâce aux algorithmes, et les petits prix. Une stratégie qui se couple avec l'injection continue de produits, qui a aussi permis à la marque de passer initialement sous les radars des grands acteurs du secteur.

Si bien que la Fevad relevait dans son baromètre de l'e-commerce français que l'e-commerçant chinois pointait, sur le deuxième trimestre, à la douzième place de l'e-commerce en France, tous secteurs confondus, attirant plus de 10 millions de visiteurs uniques chaque mois sur son site.

Et le phénomène est loin de se limiter à la France. En quelques saisons, la marque Shein, fondée il y a une dizaine d'années par Chris Xu, est devenue un géant mondial de la mode présent dans plus de 100 pays et revendiquant des millions de clients. Si elle ne communique pas ses chiffres, la société serait depuis sa levée de fonds à la mi-2022 valorisée à 100 milliards d'euros. Pour réussir ce pari de prendre des parts de marché aux géants de la fast-fashion, le fondateur de Shein a déployé des recettes chinoises au niveau global.

"Notre fondateur, M. Chris Xu, s'est lancé dans l'e-commerce car il percevait le paysage du commerce électronique en Chine comme beaucoup plus mature que dans d'autres régions. Il a regardé comment adapter ces modèles BtoC sur d'autres marchés", explique Léonard Lin, directeur de la communication du groupe, basé à Singapour, "et en réalité il n'a pas commencé par la mode mais par la vente de lunettes de vue. Finalement, nous avons pivoté car nous avons analysé que la mode est un secteur où il est possible de maximiser la valeur d'un modèle d'e-commerce".


Collection SheinXRolling Stones - Shein


Shein applique à présent sa recette à la mode femme, homme et enfant, pour des produits qui sont vendus dans le monde entier, étendant sa proposition au sport ou à des pièces positionnées légèrement plus haut de gamme avec sa ligne MOTF, et signe depuis quelque temps des capsules comme actuellement avec les Rolling Stones.

Orientée sur le digital, la marque sait créer l'événement avec un défilé de jeunes créateurs sur la Seine en marge de la dernière Fashion Week de Paris, des boutiques éphémères, comme plusieurs fois par an en France ou actuellement à Barcelone. Et va même initier un pop-up bus prochainement à Londres.

Un modèle de production " à la demande"



Des rendez-vous physiques qui renforcent la stratégie de la marque... qui n'a pas l'intention d'ouvrir de boutiques permanentes. "Nous sommes fiers de la façon dont nous sommes avons construit notre succès. Il est dû à trois raisons principales, détaille Léonard Lin. La première est notre capacité à fournir une riche variété de produits, pour une base de consommateurs toujours plus large. La deuxième raison c'est que nous proposons une variété de tailles, de styles et de morphologies. Enfin, l'autre élément important de notre succès, c'est que nous sommes en mesure de fournir des articles au style fort et abordables dans le monde entier."

Ce n'est bien sûr pas la seule marque à faire cela. Inditex ou d'H&M avaient posé les premiers jalons dans la production de vêtements à prix très accessibles tout en leur apportant une composante mode. Mais la direction de Shein revendique une formule qui lui permet de pousser le curseur beaucoup plus loin et d'être très, très agressif sur ses prix.

"C'est tout d'abord parce que nous avons un modèle purement numérique par rapport à des acteurs traditionnels du retail. Cela nous permet beaucoup d'économies de coûts, que ce soit sur le loyer des magasins, sur les stocks ou les services partagés, avance le responsable. La deuxième économie concerne notre modèle de travail avec nos fournisseurs. Nous nous considérons comme un modèle de production à la demande en temps réel. Cela signifie que pour chaque modèle sur lequel nous travaillons, nous ne produisons qu'un maximum de 200 pièces pour le monde entier. Cela nous différencie des détaillants traditionnels qui analysent tendances et styles et prédisent la demande. Avec notre approche de système à la demande, nous réduisons les coûts parce que nous produisons moins. En moyenne, le niveau de stocks est de l'ordre de 30% chez un retailer. Nous l'avons ramené à un chiffre. Troisièmement, nous nous appuyons sur l'innovation et la technologie pour gagner en efficacité et en productivité. Nous avons notre propre système de gestion de la chaîne d'approvisionnement. Nous avons mis tous nos fournisseurs sur ce même système, ce qui nous permet de réaliser des économies. Un autre aspect important de la technologie est que nous aidons nos fournisseurs à numériser et automatiser leurs usines. Nous leur accordons des prêts à faible taux d'intérêt pour qu'ils puissent acquérir des machines plus récentes."


Pop-up Shein à Barcelone - Shein


Cette supervision technologique permet ainsi à Shein d'optimiser ses délais de production en allouant des lots de production aux ateliers les plus disponibles dans sa myriade de petits partenaires. Les inciter à s'équiper permet à la marque d'augmenter leur réactivité.

Malgré cela, Shein a, en tant qu'acteur produisant plus de 9 produits sur 10 en Asie, été confronté à des problèmes de livraison, avec les confinements dans certaines régions et la fermeture de ports. Si elle revendique avoir mieux su traverser cette période que d'autres, la marque à la croissance flamboyante voit les nuages commencer à s'amonceler.

Les questions des délais de livraison et des retours de produits sont un point de tension économique, mais la marque, avec sa réussite insolente, a focalisé les critiques dans de nombreux pays occidentaux où son modèle de bas prix apparaît en inadéquation avec une urgence globale de défense de l'environnement. D'où les campagnes comme celle de cette semaine menée par Greenpeace.

"Nous sommes une jeune entreprise et nous reconnaissons qu'il y a un long chemin à parcourir, admet le directeur de la communication. La durabilité est un long voyage et ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire du jour au lendemain. Nous avons commencé à utiliser plus de matériaux responsables, nous commençons à nous approvisionner en coton auprès de fournisseurs identifiés pour leurs pratiques plus responsables. Cette année, en avril, nous avons lancé notre première collection en polyester recyclé. Nous accélérons nos efforts sur la sélection des matériaux."

"Concernant la production, nous avons  un modèle en temps réel sur demande. Nous produisons moins de déchets que les autres et c'est quelque chose dont nous sommes fiers. Et pour la fin de vie du produit, nous prenons des mesures pour traiter le problème avec des partenaires potentiels sur le recyclage. Nous avons aussi engagé des discussions avec des partenaires technologiques pour voir comment nous pouvons nous lancer dans la recherche et le développement de matériaux de nouvelle génération mais aussi travailler sur des boucles ouvertes de recyclage des textiles."

"Pas de travail forcé, pas de travail des enfants", pour le reste, Shein dit s'en fier à la législation locale



Shein est également sous le feu des critiques concernant ses méthodes de production. De nombreux doutes sont émis sur le respect des droits humains de la part de l'entreprise, son réseau de milliers d'ateliers ne permettant pas, selon de nombreuses critiques, d'avoir un suivi concernant un respect des normes sociales... laissant planer un halo de suspicions sur le recours aux méthodes de production non respectueuses des droits humains.


Shein



"Nous avons un code de conduite très strict qui inclut des politiques de santé et de sécurité, répond le directeur de la communication. Pas de travail forcé, pas de travail des enfants. Et nous nous assurons que nous sommes en conformité avec les lois locales dans les pays où nous opérons. Nous faisons ces contrôles mais nous faisons aussi réaliser des audits indépendants surprises dans les usines de nos fournisseurs. Si la non-conformité est identifiée, des mesures immédiates sont prises pour régler le problème et nous mettons fin à nos partenariats avec les fournisseurs qui ne se conforment pas à notre code de conduite."

Difficile de savoir quelles mesures ont été prises par le groupe en ce sens. En revanche, si aujourd'hui ses fournisseurs sont situés pour leur quasi-totalité en Asie, la donne pourrait changer prochainement pour le groupe. Comme nombre d'autres acteurs globalisés, la direction de la marque a constaté les barrières nées de la crise du Covid. Elle amorce ainsi des tests pour développer des réseaux de production régionaux.

De quoi permettre de livrer encore plus rapidement les clients dans le monde entier. A condition de pouvoir toujours commercialiser ses produits... Shein peut aujourd'hui vendre ses produits en France et en Europe dans le cadre d'une concurrence libre et non faussée. En revanche, la marque doit assurer que ses produits ne présentent pas de danger pour les consommateurs. Et, à l'instar de l'étude de Greenpeace en Allemagne, selon nos informations, des analyses sont en cours sur des produits de la marque en France. Avec la jurisprudence Wish, plateforme commerciale chinoise qui avait été épinglée pour le non-contrôle de ses produits et a ensuite été déréférencée, les autorités françaises et européennes pourraient, en cas de risque pour les consommateurs, prendre le même type de décision drastique pour Shein.

 

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