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Vanessa Bouchara (Bouchara & Avocats): "La contrefaçon en ligne se développe de plus en plus et de manière pernicieuse"

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9 juin 2021

A l’occasion de la journée mondiale anti-contrefaçon, qui se tient ce 10 juin, FashionNetwork.com fait le point avec l'avocate Vanessa Bouchara, spécialisée en propriété intellectuelle et droit des marques. Avec la pandémie, le phénomène des faux s’est amplifié sur le web, en particulier dans le secteur du luxe. Le dernier "Global Brand Counterfeiting Report (2018-2020)" estime le manque à gagner engendré par la contrefaçon en ligne des biens de consommation haut gamme dans le monde à 323 milliards de dollars en 2017, tandis que les pertes subies par les marques s’élèvent à 30,3 milliards de dollars.


Vanessa Bouchara - DR


FashionNetwork.com : Quelle est l’ampleur de la contrefaçon en ligne dans le secteur du luxe?

Vanessa Bouchara :
Enorme! C’est un phénomène en plein essor, qui s’est accru avec le confinement et la pandémie du Covid-19, touchant surtout des consommateurs qui n’avaient pas l’habitude jusque-là d’acheter des produits de luxe en ligne. Or, selon diverses études d’opinion, il apparaît qu’un bon tiers des personnes qui achètent des produits contrefaits ne soupçonnent rien, en dépit de la forte différence de prix.

FNW : Quelles formes peut prendre la contrefaçon en ligne?

VB :
Il y a plusieurs aspects. Il peut s’agir par exemple d’un site reproduisant à l’identique, tel un clone, celui de la marque, avec les produits, la possibilité de les acheter et de les recevoir. Ce sont en général des circuits bien organisés. Parallèlement, il y a les communautés au sens large: cela va de l’influenceuse ou micro-influenceuse à la personne lambda qui donne des conseils sur les produits qu’elle aime.

Volontairement ou pas, rémunérées ou pas, elles mettent souvent dans leur post le lien où se procurer le produit qu’elles ont testé, sans vérifier son authenticité, par exemple sur le site chinois AliExpress. Dans le même esprit, il y a les groupes de communautés créés sur Facebook pour s’échanger des tuyaux. Des "bons plans" qui relèvent la plupart du temps de la contrefaçon. Ces agissements sont potentiellement répréhensibles, mais internautes et influenceurs ont souvent du mal à le comprendre et sont convaincus d’échanger juste de bons conseils.

FNW : Quels sont les risques pour les maisons de luxe?

VB :
Cela porte clairement atteinte à leur image, au-delà du manque à gagner. Or, si elles laissent faire, elles vont se retrouver face à un afflux considérable et ingérable. Entre réseaux sociaux, influenceurs, cookies, sites et marques, les consommateurs sont sollicités de toutes parts.

Aujourd’hui, cela devient aussi un snobisme de se vanter d’avoir acheté un produit de marque pour presque rien. La contrefaçon en ligne n’est pas nouvelle, mais elle se développe de plus en plus et de manière pernicieuse. En se laissant dérober leur nom et leurs produits sans agir, les marques haut de gamme voient leur image se banaliser et risque de perdre de leur attrait. En plus, elles montrent qu’elles ne sont pas à la hauteur, alors que leur vraie mission est de garantir à leur client un produit de haut niveau authentique et une expérience unique.

FNW : Que faire pour lutter contre ce phénomène?

VB :
Les marques doivent être très vigilantes et agir sur le plan juridique dès qu’elles font l’objet d’une fraude. Elles doivent mettre en place une double surveillance. L’une en matière de noms de domaine, car les contrefacteurs sont très habiles à décliner toutes sortes de noms en lien avec la marque. Les options sont infinies. L’autre surveillance concerne les retours du marché avec les observations qui remontent des clients. Souvent, la communication entre services clientèle, marketing et juridique ne se fait pas et les sociétés laissent passer trop de temps avant de réagir. Les maisons doivent porter une grande attention aussi aux réseaux sociaux et aux influenceurs en n’hésitant pas à faire de la pédagogie. 

FNW : Combien ça coûte?

VB :
Cela nécessite des investissements importants, mais pas autant que pour la communication. Le problème, c’est que l’aspect juridique est souvent perçu par les marques comme un élément ennuyeux et pas si important. Hermès, Chanel, Louis Vuitton sont typiquement des griffes qui dépensent beaucoup dans la lutte anti-contrefaçon, car elles ont compris les enjeux de cette bataille.

FNW : Quelles sont les plateformes les plus dangereuses?

VB :
Le plus grand nombre de fournisseurs donnant accès à des contrefacteurs se trouve en Chine. Il y a aussi la Turquie et le Maroc. En fait, les maisons doivent adapter leur surveillance en fonction des pratiques mises en place par les plateformes. De nouveaux sites comme Alibaba permettent, par exemple, sans avoir à faire une recherche par le nom du modèle ou de la marque, de charger directement la photo de la pièce griffée désirée et de trouver en instantané des modèles ressemblants contrefaits. Une nouveauté lancée il y a un an et demi.

FNW : La blockchain peut aider à lutter contre la contrefaçon?

VB 
: La blockchain va permettre de canaliser un peu le phénomène. C’est une excellente et nécessaire évolution, mais cela ne règle pas tout.
 
FNW : Quelles sont les principales difficultés rencontrées lorsque l’on s’attaque aux contrefacteurs?

VB :
Les affaires les plus compliquées concernent en général des mécanismes complexes, avec des sites emboîtés les uns dans les autres. Le problème aussi, c’est que les règles ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Par ailleurs, nous avons à faire à des gens qui ne lâchent pas. Les contrefacteurs multiplient souvent les recours, tels les appels. C’est parfois déconcertant, mais lorsque l'on est vigilant et que l'on ne lâche pas, on en vient à bout!

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