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29 sept. 2022
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Trois jeunes labels expliquent pourquoi ils ne produisent qu'à partir de stocks dormants

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29 sept. 2022

A l'image du spécialiste des ensembles féminins Salut Beauté, qui vient de clôturer une levée de fonds de 420.000 euros, ou de Ba&sh, qui a sorti une capsule upcyclée avec Johanna Senyk, de plus en plus de marques ont recours à l’utilisation de stocks dormants*. Désencombrer les réserves et faire vivre les chutes de tissus, c'est le grand défi lancé par un certain nombre de labels émergents qui choisissent d’adopter une consommation responsable dans les achats de matières premières. Ce nouveau modèle, encore peu connu du grand public, peut laisser des questions en suspens: comment peut-on pérenniser sa marque lorsque l’on utilise uniquement des tissus issus de deadstocks ou comment reconduire un produit lorsqu’il rencontre un certain succès? Des questions que nous avons posées à Nuovo, Rusmin et Nahuel Clothes.

Nuovo




Nuovo


Lisa Lingenti est une spécialiste de la fripe. En septembre 2020, elle décide de créer sa friperie Nuovo et de laisser libre cours à sa créativité en s’amusant avec des pièces issues de la seconde main. Il s’agit là de la première initiative anti-gaspillage lancée par la marque.

En début de cette année, la meilleure amie de la créatrice se débarrasse de fins de rouleaux appartenant à des maisons de luxe. Lisa Lingenti les récupère et crée sa toute première collection de vêtements, uniquement conçus à partir de stocks dormants. Elle privilégie un vestiaire 100% local, où les pièces sont conçues à Pantin dans une usine.

Pour sa première collection, Lisa Lingenti propose une sélection de pièces qui puisent dans les années 1980 jusqu’à l’an 2000. Les produits de sa garde-robe? Un bustier, une jupe, une robe confortable et des pantalons basiques aux couleurs punchy. La capsule se veut un mix entre ensembles monochromes et pièces aux imprimés fleuris ou tartan. Elle revendique également une mode inclusive avec des tailles allant du 32 au 46.

Les produits sont vendus dans sa friperie à Paris, au 103, rue de Turenne (IIIe arrondissement), au Printemps Haussmann et sur son e-shop.

Lisa Lingenti précise trouver ses tissus facilement en petites quantités. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que ce nouveau modèle n’a pas de limite dans le choix des étoffes, car "il y en a énormément à exploiter". Elle estime qu’on peut facilement s’adapter aux tendances sans limiter sa créativité: "Il suffit juste de chiner pour trouver les matières qui nous conviennent", explique-t-elle.

"Le best-seller, c’est la robe Lou avec un nœud à l’avant en noir, qui pourra être reconduit dans d’autres couleurs", ajoute la créatrice.

Cette dernière explique qu’en suivant ce modèle, "la façon dont on communique doit être différente car les produits ne sont pas conçus en masse et sont rapidement en rupture de stock: par exemple, on ne peut pas développer un budget photographe, surtout si c’est pour un article qu’on ne peut pas reconduire".

Elle admet enfin que sa marge est faible. C’est pourquoi elle continue par ailleurs de vendre des vêtements vintage dans sa boutique.

Rusmin




Rusmin


L'influenceuse Rubi Pigeon, qui était étudiante dans la première promotion de la Casa 93 (l'école de mode de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, qui propose une formation gratuite aux métiers de la mode à des jeunes sans conditions de diplôme, ndlr) propose depuis peu des pièces uniques, fabriquées pour 90% d'entre elles à partir de fin de rouleaux (souvent issus de matières recyclées) ou pour 10% à partir d'articles de seconde main.

Pour elle, les séries limitées ont une attraction particulière, car il y a une dimension exclusive.

Sa marque Rusmin, créée en 2019, fonctionne via le système de précommande et son atelier se trouve à Montrouge, où elle loue un espace avec plusieurs artistes.

La Française est dotée d’une triple casquette: créatrice, influenceuse et consultante marketing. "En jonglant avec ces différents métiers, je n’ai pas besoin d’être à cran sur les ventes. Cette stratégie me permet de conserver ma marque et mon modèle d'activité, sans que mon environnement soit impacté", confie-t-elle.

Ainsi, Rubi Pigeon peut s’accorder le luxe de créer des vêtements en fonction de ses envies. Pour rester en accord avec ses valeurs, cette dernière réduit au maximum l’utilisation du neuf (bouton, etc.).

En plus de conserver cette souplesse, l’avantage d’être influenceuse est de pouvoir donner une autre image du vêtement porté, "si les gens ne le voyaient pas sur moi cela serait différent. Je ne vendrai pas de la même manière", indique l’entrepreneuse.

Derrière sa marque, l’objectif est d’amener le consommateur à penser autrement. Selon elle, "il y a un shift (changement) dans la mentalité des gens. C’est important de montrer un autre mode de consommation, d’apprendre au client à patienter pour obtenir son vêtement. D’ailleurs, ils sont très compréhensifs. Quand il n’y a plus de tissus, certains sont remboursés et d’autres sont prêts à patienter trois mois supplémentaires. Si le modèle confectionné dans un autre tissu ne leur convient pas, je les rembourse."

Toujours dans l’optique de sensibiliser le consommateur à une mode plus responsable, elle propose des ateliers de couture dans de nombreuses villes de France pour les inciter à créer leurs propres vêtements: "Dans ma marque il y a une dimension éducative. On souhaite apprendre aux gens à faire par eux même", ajoute-t-elle.

Son style s’inspire d’un univers enfantin et s’adresse à la jeune génération, avec des pièces basiques et quelques modèles plus audacieux.

Tout comme la friperie Nuovo, elle ne peut pas faire de campagne publicitaire, car il n’y a pas assez de tissus pour reconduire ses produits. De fait, l’aspect commercial est complètement différent. Ses succès tiennent à la coupe et non à la matière. Résultat: le modèle marche, le tissu change.

La question que l’on peut se poser est quel est le prix d’un vêtement issu de stocks morts? "Un tissu ne coûte jamais moins de 7 euros par mètre, +20% de TVA. Il faut aussi se payer soi-même. On ne peut donc pas faire un haut à moins de 50 euros", confie Rubi Pigeon. Les prix de ses créations varient en moyenne entre 50 et 140 euros, à retrouver sur son e-shop.

Nahuel Clothes


Nahuel Clothes


Depuis sa création il y a un an, la griffe Nahuel Clothes, qui était présentée début septembre au salon Who’s Next, favorise les créations à partir de stocks dormants. Le label, fondé par Cécile Chênerie, fonctionne là encore via le principe de la précommande.

Face à une industrie polluante, Cécile Chênerie s’est mise à utiliser des stocks dormants avant tout par conviction. Les tissus proviennent de fins de rouleaux qui ne sont plus utilisés par les grandes maisons de luxe. "Je récupère les matières chez des fabricants comme Nona Source, Uptrade ou la plateforme The Fabric Sales", précise-t-elle.

Elle explique que sa manière de créer est complètement différente de ce qu’on lui a appris durant sa formation: "Lorsque j’étudiais, on observait d’abord le tissu et à partir de là on imaginait des pièces. Le processus que j’emploie est inversé. Aujourd’hui j’imagine des pièces à partir des tissus disponibles. C’est un peu un challenge."

Cette dernière explique en outre qu'il est difficile de trouver des prix accessibles quand on cherche des tissus en petites quantités.

Côté style, elle mise sur une mode confortable, sans négliger l’esthétisme.

La marque se veut dans un esprit minimaliste et propose une mode unisexe (orientée femme). La créatrice privilégie le made in France. Son atelier est situé à proximité de Lyon et elle travaille avec une couturière en freelance. Ses créations sont de fait plus chers, mais de meilleures qualités.

Pour la marque, l’inconvénient principal est de ne pas pouvoir reconduire un tissu qui fonctionne sur un produit. Il faut trouver une alternative.

Comme pour Rusmin, la coupe va donc prôner sur la matière. D’ailleurs, elle utilise les mêmes patronages pour ses vêtements, mais en fonction des tissus "le tombé sera différent et la matière changeante. Cela donnera un autre effet".

Cécile Chênerie souligne également un autre point important. L’utilisation des stocks dormants s’inscrit dans une tendance. Il est parfois difficile de se démarquer car il y a beaucoup de concurrences.

Les produits sont vendus sur son e-shop.

* tissus inutilisés par des marques et entreposés dans des espaces logistiques.
 

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